09.11.2015 | Sommet afro-européen: Lettre ouvere aux gouvernements africains
À l'occasion du sommet afro-européen sur la migration à La Valette, Malte (11.11.2015-12.11.2015) Afrique-Europe-Interact a écrit la lettre ouverte suivante.
Chères ambassadrices, chers ambassadeurs,
chers représentants et chères représentantes de médias,
mesdames et messieurs,
cette lettre est adressée aux ambassadeurs, ambassadrices et consuls qui ont une représentation diplomatique en Allemagne. Elle concerne aussi les pays africains qui seront présents au « Sommet de La Valette sur les migrations ». Toutefois, nous voulons également l'adresser aux opinions publiques européennes afin donc d'interpeller la politique européenne. Parce que nous, en tant que réseau transnational avec des membres dans différents pays africains et européens, nous craignons que l'Union européenne par le biais du sommet de La Valette, essaie d'imposer encore une fois ses propres intérêts. Notamment en usant de leur supériorité économique pure. Cette crainte est fondée non seulement par les conceptions connues jusqu'à présent pour une déclaration finale, mais aussi basée sur les analyses du plan d'action de l“UE correspondant qui l'accompagne. Du côté des cercles de négociations on peut s'attendre à ce que l'UE soit extrêmement intransigeante. Un haut représentant de l'Union Africaine a d'ailleurs informé le service de média “afroline”, qu'il n'y avait jusqu'ici aucun dialogue véritable dans les entretiens préliminaires : “Ce que nous voyons de la part de l'UE, c'est un monologue, qui vise à nous imposer leur ordre du jour.” à -t-il déclaré.
Dans cet ordre d'idées, nous voulons en appeler aux chefs de gouvernements africains au rejet à La Valette de toutes les solutions qui seront dirigées contre les intérêts des populations africaines – parmi lesquelle d'ailleurs les réfugiés et les migrant-e-s qui sont sur les chemins vers l'Europe ou qui sont déjà arrivés en Europe. Plus précisément : les pays africains devraient apporter une réponse négative au mot d'ordre européenne dont l'objectif principal à La Valette est de discuter sur “comment freiner “ la migration illégale et de faire signer les accords de réadmission. En conséquence, est à rejeter toute tentative qui oriente les flux d'aide au développement vers la mise en œuvre des mesures migratoires (le soi-disant principe du “plus pour plus”). Par ailleurs, est souhaitable une politique qui non seulement respecte les droits fondamentaux des migrants et des réfugiés, en particulier dans les pays de transit en Libye, Tunisie, Algérie et Maroc, mais qui doit également être connectée à une stratégie de développement à long terme basée sur une reprise économique en faveur de la vaste majorité des populations d'Afrique.
Qu'est ce qui est exactement prévu à La Valette?
Au sommet afro-européenne, 4.000 participants sont attendus, y compris les chefs d’État de 35 pays africains et de 28 pays européens. Le sommet doit se rallier non seulement au sommet sur la migration et la mobilité qui a eu lieu en avril 2014 à Bruxelle, mais en plus, il devra servir à relayer les résultats récents du processus de Raba entamé en 2006 en intégrant le processus de Khartoum en vigueur depuis 2014. Les deux processus sont consacrés en grande partie au contrôle des migrations, mais dans celui de Khartoum figure aussi les négociations avec des régimes dictatoriaux tels que l’Érythrée ou le Soudan. Officiellement, cinq sujets d'action devraient être discutés à La Valette: La lutte contre les causes de la fuite, la migration légale et la mobilité, la protection internationale et l'asile, la lutte contre le trafic d'êtres humains, et les progrès en matière de retour et de réadmission.
Il est frappant de constater cependant, que l'Union Européenne n'a signalé aucune volonté d’abandonner sa politique qui crée à travers l'orientation sur ses propres intérêts, des causes de la fuite qui sont toujours officiellement “combattues”. Par exemple, l'UE a récemment demandé que les accords de libre-échange de l'APE (“accords de partenariat économique”), controversés depuis des années, doivent être “ nécessairement” ratifiés par les pays africains en 2017. Ceux-ci en echo demandent une élimination des barrières tarifaires pour 80% de tous les produits de l'UE bien que cela ne ferait qu'accroitre la concurrence acharnée pour les producteurs africains. Sans mentionner le fait que pour de nombreux pays en Afrique, les recettes douanières constituent une part importante des recettes de l´Etat. La situation est similaire dans d'autres domaines socio- économique, par exemple dans l'élimination des produits agricoles Africains face aux exportations bon marchés subventionnées par l'UE en Afrique et les operations de spoliations des sols africains aux investisseurs internationaux (mot-clé: l'accaparement des terres) ou dans le fait que l'Afrique perde chaque année jusqu'à 20 milliards d'euros à cause de manigances fiscales légales et illégales utilisées par les sociétés internationales. Compte tenu de cette situation, nous voulons faire appel à vous, chers gouvernements africains, afin que vous annonciez la couleur au sommet de La Valette et approuviez seulement les décisions qui seront en fait de nature à améliorer durablement la situation de vos citoyens:
- Dites Non ! À toute forme de politique raciste aux frontières extérieures de l'UE qui pousse délibérément les réfugiés et les migrant-e-s sur les routes terrestres et maritimes dangereuses. Non à ces politiques du cloisonnement qui essaient d'empêcher leur arrivée en Europe, en usant des méthodes militaires de plus en plus brutales (comme dans l'opération EUNAFVOR avant la côte libyenne). Chaque année des milliers de décès d'Africains sont une tragédie terrible pour les familles, les ami-e-s et l'image des pays africains. La poursuite de l'externalisation et donc le rejet de la protection des réfugiés par l'UE doit être fermement repoussé. Les camps d'accueil gigantesques qui sont prévus au Niger, ne peuvent pas résoudre le problème. Car ils augurent des conditions catastrophiques à craindre, comme c'est actuellement le cas dans les soi-disant “Hotspots” à Lampedusa, sur l'île grecque de Lesbos et sur la frontière serbe – en outre, le Niger est l'un des pays le plus pauvre dans le monde en termes économiques. Dans le même contexte, nous souhaitons également faire appel aux pays d'Afrique du Nord afin qu´ils abandonnent leur rôle gendarme en faveur de l'Union européenne. Les scènes terribles aux clôtures de Ceuta et Melilla ou les déportations dans le désert foulent l'idée de la solidarité intra-africaine aux pieds. Il en fut de même pour l'expérience dramatique du camp “Choucha” aujourd'hui fermé à la frontière tuniso-libyenne (2011-2014).
- Dites Non ! À toute forme d'expulsion forcée d'Afrique du Nord ou d'Europe – ne signez pas des accords de réadmission ou la reconnaissance d'un laissez-passer européen. Il faut noter que les donateurs véritables sont les migrant-e-s qui envoient malgré leur situation parfois extrêmement précaire, plus d'argent à l'Afrique que l'aide totale au développement qu’accordent les pays riches industrialisés. Le doublement promis de la délivrance de visas, entre autres aux étudiant-e-s africain-e-s, est ridicule et n'est pas une réponse aux besoins réels de formation et travail des migrant-e-s africain-e-s.
- Dites Non ! Aux campagnes de dissuasion médiatique que l'Union européenne veut effectuer dans plusieurs pays africains. Parce que non seulement les points de passage sont dangereux, mais également la situation en Europe marquée par la privation de droits et le racisme n'est pas un destin inévitable. Au contraire, elle est le résultat de la politique gouvernementale de tracasserie, de démoralisation ciblée et de l'exploitation économique ce qui doit également être critiqué haut et fort. Dans ce contexte, un carton rouge doit être donné à la distinction cynique ou même raciste entre les réfugiés bien éduqués et donc souhaités de la guerre civile de Syrie et les réfugiés de la pauvreté et donc non-souhaités de l'Afrique.
- Dites NON ! À la ratification des accords de libre-échange de l'EPA et à toutes les autres mesures économiques, forcées par l'UE, comme les privatisations à cause de la dette ou des exonérations fiscales pour les investisseurs internationaux. Dans ce contexte, les fonds d'urgence de l'UE de 1,8 milliard d'euros, mis en place à l'occasion du sommet de La Valette, devraient être rejetés comme un simple trompe-l'œil. Parce qu'avec ces fonds minuscules, il n'est pas planifié – comme officiellement affirmé – de stabiliser la situation dans la région du Sahel, dans la région du lac Tchad, dans la Corne de l'Afrique et en Afrique du Nord (ce qui ne serait pas possible avec ce montant). Il s'agit plutôt à ce sommet, de combattre la migration irrégulière par des mesures de sécurité.
- Dites NON! À la corruption, au clientélisme et la mauvaise gouvernance, à cause desquelles les gouvernements africains contribuent eux-mêmes au renforcement des crises permanentes en Afrique. Dans ce sens, les institutions africaines telles que l'Union africaine ou la CEDEAO doivent exercer aussi une pression ciblée sur les régimes autocratiques et violents comme en Erythrée, au Soudan ou au Burundi, où la politique a déjà provoqué la fuite des centaines de milliers de personnes.
Enfin, nous voudrions faire appel aux gouvernements africains représentés à La Valette de connecter ces multiples Non! à un fort Oui: un Oui, qui vise d'une part la solidarité et le juste équilibre des intérêts entre l'Afrique et l'Europe (sous la considération systématique de la responsabilité historique de l'Europe pour les conséquences à long-termes de l'esclavage, du colonialisme et du changement climatique), d'autre part la réalisation de la liberté de circulation en tant que droits de l'homme inviolable et inaliénable. Il serait donc bienvenu d'insister sur l'incapacité de contrôler ou même arrêter la migration et la mobilité. Il convient de souligner pour terminer que la seule alternative au cloisonnement ou à l'expulsion, c'est la libre circulation, comme elle est culturellement enracinée dans toutes les régions d'Afrique depuis des décennies, et même pendant des siècles.
Cordialement,
Afrique-Europe-Interact
P.S. A l'occasion du sommet de La Valette la section malienne d'Afrique-Europe-Interact va, le mardi 10.11.2015, faire à une conférence de presse à Bamako.