Prise de position d’Afrique-Europe-Interact au sujet de l’intervention militaire française au Mali
7 Février 2013
Le 2 février dernier, le président français François Hollande a été accueilli avec enthousiasme. L’ambiance était vraiment sincère, comme nous l’ont également confirmé les activistes d’Afrique-Europe-Interact au Mali. Cette réaction nous indique que l’islamisme radical ne va pas de soi, même pas dans les régions économiquement appauvries du globe dont la population est majoritairement musulmane. Au contraire, la population plutôt d’influence soufiste a littéralement haï les contraintes quotidiennes du régime de la charia qui la méprise. Jusqu’en janvier, la population était très sceptique quant à une intervention militaire et l’ambiance a soudainement changé lorsque le représentant du groupe islamiste « Ansar Dine » qui avait participé aux négociations pour la paix au Burkina Faso et en Algérie a brusquement retiré ses propositions de dialogue.
Il n’y a néanmoins aucune raison de cautionner l’intervention militaire française, quelle qu’en soit la forme. D’abord parce que le danger d’une guérilla dont les conséquences seront surtout portées par la population civile n’est pas pour autant écarté. Deuxièmement, cette intervention a aggravé la situation socio-économique. Enfin, parce que la France n’a pas agi pour des raisons humanitaires, les intérêts politiques, économiques et militaires ayant été bien plus déterminants. Ce n’est donc pas un hasard si la France, la CEDEAO et une partie de l’élite politique du Mali n’ont rien entrepris, depuis le début de la crise en 2012, pour encourager une « solution malienne », qu’elle passe par le dialogue ou qu’elle soit le résultat d’une intervention limitée d’autodéfense de l’armée malienne. A la place, ils ont créé intentionnellement une situation en apparence sans alternative, au moyen d’un embargo (en réaction au putsch de mars 2012 salué par une bonne partie de la population) ou par le biais d’autres interventions de l’extérieur où, à la fin, il ne restait plus que le choix fou entre une (soit disant) invasion islamiste de Bamako ou une intervention militaire sous le commandement français.
Quand ici (en Allemagne), on débat sur la question des intérêts français, sont mis en avant quatre points : le souci de ne pas laisser s’installer une zone de retrait pour les islamistes, incontrôlable (un « Sahelistant ») ; le libre accès aux ressources du sol (surtout l’uranium), ainsi que l’assurance pour les entreprises françaises d’autres champs d’activités ; l’établissement d’une base militaire permanente au nord du Mali et comme but principal la « pénétration capitaliste » dans le Sahara, c'est-à-dire la « pénétration du capitalisme mondial par le moyen de la guerre » (FFM, centre de recherche sur l’exil et la migration). Toutes ces réflexions sont importantes, il est cependant frappant que l’argumentation parte presque exclusivement d’une perspective géostratégique européenne (de la métropole), tandis que les conflits politiques internes du Mali et de l’Afrique de l’ouest sont passés sous silence.
Concrètement : si le putsch d’il y a à peine un an a remporté une adhésion si grande, c’est parce que la population a fini par se lasser non seulement de la démocratie de façade, mais aussi de la corruption, d’une ampleur inimaginable pour nous, du clientélisme et de l’abandon du domaine public (voir AK Nr.574). Le changement des rapports de forces politiques liés à cette situation est la raison pour laquelle la France a torpillé l’élan démocratique initié par le putsch, préparant ainsi, pas à pas, le terrain pour une intervention. Car le but est de prendre fait et cause dans le conflit interne malien, en complémentarité avec les objectifs économiques et stratégiques déjà évoqués, pour empêcher une flambée démocratique de la base dans toute l’Afrique de l’ouest, qui affaiblirait considérablement la suprématie politique et économique de la France dans l’ensemble de la région. Dans cette mesure, il n’y a rien d’étonnant à ce que le FMI ait, deux semaines après le début de l’intervention, débloqué des « crédits d’aide », comme on dit, après que dans les mois précédents, du côté de l’ouest on ait décidé d’interrompre l’attribution de tous les crédits et mis fin à une grande partie de la coopération pour le développement.
L’aggravation périodique du conflit entre les Touaregs au nord et le pouvoir central malien, depuis l’indépendance du Mali en 1960, est occulté de la même manière. Et pourtant, il est bien connu qu’un des trois groupes islamistes à présent sur la défensive, Ansar Dine, se compose principalement de Touaregs maliens. Ceci explique pourquoi la « marche blanche » initiée par la section malienne d’AEI voit l’ouverture d’un dialogue avec la partie de la population touareg du nord qui ne se sent représentée ni par l’Ansar Dine ni par le groupe laïc MNLA (qui, début 2012, sans être véritablement implanté au sein de la population touaregs a commencé un soulèvement avec les Islamistes, pour être évincés six mois après par ces derniers) comme la clef essentielle d’une paix durable (1). Car c’est seulement de cette manière que l’on pourrait marginaliser sur le plan social et politique les Islamistes et arriver à les priver progressivement de leur pouvoir, pendant que parallèlement un processus de réconciliation entre les Touaregs et la société malienne pourrait commencer (2).
(1) La marche a du être repoussée d’au moins 6 à 8 semaines à cause de l’intervention et de l’état d’urgence encore en vigueur, mais les dons sont toujours biens venus !
(2) Ce texte est la version courte d’une prise de position de sept pages d’Afrique-Europe-Interact sur cette question que l’on peut trouver ainsi que d’autres articles de fond, des commentaires et des actualités sur le site www.afrique-europe-interact.net