20.000 Euros pour la „marche blanche“ de Mopti à Douentza
Appel aux dons actualisé d’Afrique-Europe-Interact (11.01.2013): Au Mali, malgré les menaces d’une escalade militaire, des organisations de base réclament une solution basée sur le dialogue
L’initiative est impressionnante : fin janvier ou début février 2013, jusqu’à 5000 personnes se mettront en route pour une marche pacifique de plusieurs jours allant de Mopti à Douentza – c’est-à-dire de la dernière ville non occupée par les milices islamistes dans le nord du Mali, à la première qu’ils ont occupée. Avec la « marche blanche », ainsi que l’appellent les initiateurs de la section malienne d’Afrique-Europe-Interact, il s’agit de refuser clairement l’intervention militaire forcée mise en avant par la communauté économique ECOWAS, l’Union Européenne et certaines parties du gouvernement malien – même si l’offensive lancée le 9 janvier par les forces islamistes en direction du Sud du pays a considérablement augmenté la pression politique sur une telle initiative pacifique.
La marche coûtera au bas mot 40.000 euros (sans compter les dépenses individuelles), somme qui couvrira notamment l’importante logistique nécessaire en zone désertique ainsi que le ravitaillement et le transport. Au moins la moitié de ce montant doit être récolté en Europe – c’est la raison de cet appel aux dons, déductibles d’impôts, qu’ils soient gros ou petits. En effet, la marche blanche pourrait se révéler être une vraie chance pour la population malienne si celle-ci se retrouvait encore plus affectée qu’elle ne l’est déjà aujourd’hui, par une situation de guerre. Après l’échec de nombreuses interventions, en particulier en Afghanistan et en Somalie, ce projet d’une solution basée sur le dialogue pourrait également se poser en réelle alternative phare à la « guerre contre la terreur » présentée en particulier en « Occident » comme l’unique voie possible.
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Les dons adressés à Afrique-Europe-Interact sont déductibles d’impôts. De plus, les donateurs/donatrices recevront régulièrement en guise de remerciement les nouveaux outils d’information de notre réseau : des films, des brochures ou encore des journaux (tout du moins quand nous connaissons l’adresse actuelle). Davantage d’informations et d’analyses de fond sur le contexte sont consultables sur notre site www.afrique-europe-interact.net, en particulier un journal d’Afrique-Europe-Interact publié comme supplément dans la TAZ début décembre, qui peut nous être commandé en grande ou petite quantité.
Davantage d’informations sur le contexte de la marche blanche:
Depuis fin juin 2012, la totalité du nord-Mali est contrôlée par trois milices islamistes – Ansar Dine, Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb) et MUJAO. Quelques mois auparavant, en janvier 2012 avait débuté une rébellion de la nouvelle organisation touareg MNLA tandis que le 22 mars 2012 avait lieu un putsch contre le président de longue date Amadou Toumani Touré, évènement accueilli jusqu’aujourd’hui avec enthousiasme par une grande partie de la population malienne. Les conséquences de cette crise multiple sont dramatiques : tout d’abord, près de 500 000 personnes ont du fuir depuis le début du conflit, certains vers les pays voisins, d’autres vers le sud du Mali. Ensuite la situation alimentaire du pays, déjà tendue en situation normale s’est nettement détériorée : actuellement on dénombre près de 4,6 millions de personnes au Mali menacées par l’insécurité alimentaire tandis que le PAM (Programme Alimentaire Mondial) ne touche que 360 000 personnes dans le sud et 146 000 dans le nord. Par ailleurs, dans le nord du pays a été imposé depuis peu un régime brutal basé sur la charia, unanimement rejeté par la population et ayant des conséquences catastrophiques en particulier pour les filles et les femmes. Enfin, l’économie entière d’un pays déjà très pauvre ou plutôt appauvri, est gravement touchée – entre autres parce qu’à la suite du putsch, les riches pays industriels ont suspendu leur soit-disante aide au développement. Ainsi dans la seule ville de Bamako, 20% des usines ont mis la clé sous la porte et 60% ont procédé à des licenciements au cours de l’année dernière. Au total, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi alors que les prix des combustibles, du gaz et des biens d’usage quotidien ont littéralement explosé, dans certains cas même doublé.
Face à ce constat, il est facile de comprendre pourquoi les initiateurs/initiatrices de la marche refusent clairement une solution militaire au nord : pour la bonne raison que la guerre ne ferait qu’occasionner des souffrances supplémentaires à la population civile. Les représentants d’organisations proches des Nations-Unies estiment qu’un conflit militaire dans le nord du Mali jetterait 700 000 réfugié_es de plus sur les routes – ce qui est par ailleurs la raison pour laquelle l’Algérie a décidé, de manière tout-à-fait cynique, d’ériger une clôture high-tech d’1 milliard et demi d’euros en plein milieu du désert, à la frontière avec le Mali. A cela, il faut ajouter l’inquiétude d’une guerre se transformant en guérilla à n’en plus finir, avec des attaques terroristes dans le sud du pays, surtout dans une métropole d’un million d’habitants comme Bamako. L’expérience a montré dans des situations comparables comme en Afghanistan, Somalie, Irak ou au Nigeria que les mouvements islamistes sortent le plus souvent renforcés des affrontements armés : en effet, dès que l’on déplore des victimes civiles, on assiste à de forts effets de solidarisation et de polarisation au sein de la population.
S’agissant d’une solution basée sur le dialogue, il était question jusqu’à début janvier des négociations entreprises entre le gouvernement malien, Ansar Dine et l’organisation touareg MNLA ayant eu lieu au Burkina Faso et en Algérie. En effet, contrairement à Aqmi et MUJAO, Ansar Dine est composé en grande majorité de combattants maliens dont beaucoup sont Touaregs. Ansar Dine a été créé par l’ancien leader touareg Iyad Ag Ghaly (il n’avait pas encore à l’époque une telle orientation islamiste), qui représente depuis plusieurs décennies, une figure centrale de la vie politique malienne. Ainsi l’idée était d’éloigner à court et moyen terme Ansar Dine d’Aqmi et MUJAO afin d’isoler ces derniers politiquement et militairement. Une première étape aurait consisté ensuite à les repousser à nouveau vers l’extrême nord du pays, région dans laquelle ils participent activement au trafic transsaharien (entre autres cocaïne et cigarettes) depuis de nombreuses années.
Cet espoir partagé par une large frange de la population malienne s’est cependant envolé le 3 janvier dernier, avec le coup de théâtre d’Ansar Dine annonçant qu’il ne négocierait finalement pas et se rangerait aux côtés d’Aqmi et de MUJAO dans la lutte armée contre l’armée malienne au niveau de la ligne de démarcation au Sud (également contre l’intervention de soldats français). Dans ce contexte, cela n’est pas surprenant que la situation politique initiale de la marche blanche soit chamboulée – et pas seulement parce que la guerre est maintenant en marche mais aussi parce qu’entre temps, la disposition à la guerre a nettement augmenté au sein de la population. Et pourtant, les initiateurs/initiatrices de la marche blanche continuent à s’engager en faveur d’une solution au conflit basée sur le dialogue. En effet, les prochains jours et semaines vont montrer encore une fois que les islamistes radicaux ne se combattent pas sur le long terme par les armes, la preuve en a déjà été donnée en Somalie ou en Afghanistan. En prenant cela en compte, deux objectifs principaux doivent être au cœur de la marche : d’une part, le soutien politique et moral à la résistance civile qui s’organise dans le nord face à la terreur quotidienne instaurée par les islamistes – que ce soit par le biais de manifestations (nues) de filles et de femmes, de rassemblements massifs de jeunes ou de prises de position de notables locaux. D’autre part, l’ébauche de négociations avec les courants relativement modérés du camp islamiste est absolument nécessaire (également au-delà d’acteurs politiques tels Ansar Dine ou le MNLA). Il est important de se rappeler qu’au Mali en 1996, ce sont des acteurs de la société civile qui avaient mis fin à la guerre civile opposant l’armée malienne à la rébellion touareg en initiant une action de destruction d’armes par le feu à Tombouctou, restée célèbre sous le nom de « flamme de la paix ».
Non moins précises sont les revendications internes de la marche blanche – quelque soit les acteurs qui prendront part au dialogue: premièrement, le rejet catégorique et sans concessions de la charia. Deuxièmement, le refus que de nouvelles frontières soit érigées, ce qui est justement en train de se produire suite à l’occupation du nord du pays. Enfin, le refus de l’accaparement (néocolonial) des terres qui représente dans les faits la séparation actuelle du nord – une formulation qui pointe surtout le fait que le nord du Mali, loin d’être seulement un espace désertique et poussiéreux, est avant tout un territoire géostratégique très disputé, riche en ressources naturelles comme l’uranium, le pétrole et minerais rares. En outre, la marche blanche réclame une entente réelle et durable avec les touaregs du nord du pays – pas seulement parce que le MNLA est impliqué dans les négociations mais également parce que les touaregs islamistes gravitant autour d’Ansar Dine ont un fort intérêt à un tel accord de paix (pour en savoir plus sur le long conflit opposant la population touareg à l’Etat central malien, des articles sont consultables sur notre site et dans le supplément de la TAZ mentionné ci-dessus).
Enfin, il faut bien noter que la population malienne considère une solution basée sur le dialogue avec bien plus de sympathie que ce qu’il nous est donné de voir ici dans les médias – même si le moral général a changé de manière nette ces derniers jours. Car, il y a d’un côté le souhait incontestable que quelque chose se passe enfin, y compris une intervention militaire de l’armée malienne (laquelle, tout le monde le sait, ne serait pas en mesure de lancer une telle intervention toute seule), revendication formulée de toutes parts. De l’autre côté, une part importante de la population redoute une escalade de la guerre et les répercutions que celle-ci aurait sur l’ensemble du pays. De plus, beaucoup craignent également qu’un stationnement des troupes ECOWAS soit instrumentalisé par une partie de l’ancienne élite politique, celle-ci tentant de revenir sur les réaménagements démocratiques mis en marche après le putsch. Toutefois en Europe, les médias ne rendent pratiquement pas – voir pas du tout – compte de cette ambivalence et citent exclusivement des partisans/partisanes d’une intervention que l’on trouve très facilement – aujourd’hui plus que jamais. Il n’est pas donc pas non plus surprenant que l’appel « Femmes du Mali, dites NON aux partisans de la guerre ! » lancé par Aminata Traoré, célèbre altermondialiste et ancienne ministre de la culture malienne, n’ait trouvé que très peu d’écho ici. Dans cet appel (consultable sur notre site internet) signé par de nombreuses défenseuses des droits des femmes, est dénoncé de manière cinglante, le fait qu’une fois de plus une guerre contre les terroristes islamistes soit menée au nom des femmes. Car, comme l’expose clairement l’appel, en temps de guerre ce sont toujours les femmes qui se retrouvent d’abord à porter le poids des souffrances.