25.04.2015 | Des Ferries sans Frontex 10 points pour mettre fin aux morts des migrants en mer
Le 20 Avril, le conseil des ministres des affaires étrangères et intérieures a publié dix propositions d’action en réponse aux morts récentes de migrants en mer Méditerranée. D’autres ont été mises en avant par ailleurs. Face à l’hypocrisie des « solutions » proposées, nous, activistes, engagés depuis des années dans les luttes contre le régime des frontières européennes, en contact quotidien avec des centaines de gens qui ont traversé la Méditerranée à travers les projets WatchTheMed et Alarm Phone –– nous nous sentons obligés de dénoncer leurs mensonges et d’ouvrir un autre champ de réflexion et d’action.
1. Nous sommes en colère et choqués par les tragédies qui, depuis une semaine, ont coûté 1200 vies en Méditerranée. Choqués, mais pas surpris par le nombre inégalé de morts en à peine quelques jours. En colère car, sans changement radical, ces morts ne font jamais qu’annoncer ceux qui s’additionneront inévitablement tout au long de l’année 2015.
2. Nous sommes en colère car nous savons que la « solution » proposée en remède à cette situation insupportable reviendra au même : encore de la violence et des morts. L’UE a appelé au renforcement de l’opération Triton de Frontex. Or Frontex est une agence de lutte contre les migrations et Triton a été créée avec le mandat de protéger les frontières, pas de sauver des vies.
3. Quand bien même le sauvetage redeviendrait, comme en 2014 avec l’opération militaire de Mare Nostrum, un objectif en soi, cela ne mettrait pas fin aux morts en Méditerranée. Ceux qui défendent un Mare Nostrum européen devraient se souvenir que durant cette mission, la plus grandiose en Méditerranée à cette heure, plus de 3400 personnes ont péri. Est-ce là un chiffre tolérable aux yeux du public européen ?
4. Ont été aussi évoqués une intervention militaire internationale en Libye, un blocus naval ou l’enrôlement des pays africains dans la police de leurs frontières. Et pourtant, l’histoire des vingt dernières années prouve que la militarisation en Méditerranée des routes de la migration ne fait qu’accroître le nombre de morts. Jamais lorsqu’une route vers l’Europe a été fermée par l’emploi de nouvelles technologies de surveillance et le renforcement des actions de police, les migrants n’ont cessé d’arriver. Ils ont simplement été forcés d’emprunter des routes plus longues et plus dangereuses. Les morts récentes en Méditerranée du centre et de l’Est résultent par exemple de la militarisation du détroit de Gibraltar, des îles Canaries, et du contrôle de frontières terrestres comme celle qui sépare la Grèce de la Turquie ou aux bordures du Sahara. Les « succès » de Frontex, c’est la mort de milliers de gens.
5. Les organisations internationales comme les hommes politiques de tous bords ont dénoncé les passeurs comme la cause principale des morts en Méditerranée. Certains ont comparé leurs pratiques à la traite d’esclaves. Ceux-là mêmes qui nourrissent le régime d’esclavage condamnent les trafiquants ! Où l’hypocrisie s’arrêtera-t-elle ? Nous savons parfaitement que les trafiquants qui opèrent dans le contexte de la guerre civile en Libye sont des criminels sans scrupule. Mais nous savons aussi que les migrants n’y ont recours qu’en raison des politiques européennes des frontières. Que ceux qui meurent en mer soient autorisés à venir en Europe avec un statut légal, et les réseaux de trafiquants seront immédiatement relégués aux oubliettes de l’histoire. Le régime de visa qui les en empêche n’a pas 25 ans.
6. Faut-il encore rappeler à ceux qui ont demandé, cette fois comme toujours, la création de centres de triage en Afrique du Nord, de quoi ils parlent ? Citons d’abord le camp tunisien de Coucha géré par l’UNHCR, où ceux qui y avaient cherché refuge en plein conflit Libyen ont été délaissés. Même ceux dont on avait reconnu qu’ils avaient besoin d’une protection internationale ont été abandonnés dans le désert tunisien, souvent réduits à tenter de traverser la mer. La création des centres de triage off-shore en Australie sur des « îles-prisons », devenues aujourd’hui pour certains un modèle, ne fait par ailleurs que prouver l’hideuse réalité des détentions obligatoires de demandeurs d’asile. Ces « solutions » n’ont qu’une utilité : déplacer la violence du régime des frontières européennes, l’éloigner loin des yeux des publics occidentaux.
7. Face à ce bilan, que faire ? Nos camarades et amis, avec qui nous menons la lutte ces dernières années, exigent la liberté de circulation, comme unique réponse durable. Nous aussi reprenons à notre compte cette revendication. C’est la seule qui puisse ouvrir un espace d’imagination politique dans un débat par ailleurs asphyxiant. L’accès inconditionnel à l’UE est le seul moyen de mettre fin aux morts en Méditerranée. Et pourtant, nous pensons qu’un appel général à la liberté de circulation ne suffit pas dans le contexte actuel. Nous ne voulons pas l’imaginer comme une utopie lointaine mais la prôner maintenant comme une pratique – mise en œuvre chaque jour par des migrants à qui elle coûte la vie – qui doit guider nos luttes politiques aujourd’hui et maintenant.
8. Pour ces raisons, nous demandons l’institution de ferries, acheminés en Libye pour évacuer autant de gens qu’il leur sera permis. Ces personnes devraient être amenées en Europe bénéficiant d’une protection inconditionnelle, indépendamment de tout processus d’asile, puisque celui-ci a perdu son ambition protectrice pour devenir un outil de plus dans l’arsenal européen d’exclusion.
9. L’idée des ferries est-elle irréaliste ? En 2011, au plus fort de la guerre en Libye, les ferries humanitaires ont évacué des milliers de migrants de Misrata à Bengasi, malgré des obstacles aussi tangibles que des bombardements, des tirs nourris et des mines navales. Ceci prouve qu’en dépit de la volatilité de la réalité libyenne, une telle action est envisageable. Et puis, n’oublions pas que les ferries constitueraient indéniablement une solution moins chère que les opérations militaires envisagées.
10. Nous ne connaissons qu’une réalité : toute solution moins ambitieuse ne conduira qu’à plus de morts. Nous savons qu’il n’existe aucun processus d’externalisation des procédures d’asile et de contrôle des frontières, aucun respect des règles de sauvetage en mer, aucune augmentation de la surveillance et de la militarisation qui puisse mettre fin à la mort en mer à grande échelle. Dans l’immédiat, nous n’avons besoin que d’accès légal et de ferries. L’UE et les agences internationales sont-elles prêtes à prendre ces mesures, ou la société civile aura-t-elle à le faire elle-même ?
The Alarm Phone
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