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Ce silence coupable…

Les partis politiques ont tourné le dos à la cause des migrants. Des scènes de xénophobie aux frontières sud du pays

Le Temps – Vendredi 16 décembre 2011

La Tunisie fête pour la première fois, le 18 décembre courant, la Journée internationale des migrants, placée cette année sous le thème « action globale contre le racisme, pour les droits des migrants, réfugiés et personnes déplacées ». Un rassemblement de soutien et de solidarité avec les migrants irréguliers et les familles des disparus est prévu ce dimanche.

Raouf Ben Yaghlen, présentera sa pièce « Harek Yetmanna » au Théâtre municipal de Tunis. Cette célébration est l’œuvre du Forum Tunisien pour les Droits économiques et sociaux qui a élaboré une étude sur le drame de l’émigration clandestine en Tunisie.

Lors d’une conférence de presse très suivie, hier, Messaoud Romdhani rappelle que c’est la première fois que la Journée internationale des migrants est célébrée en Tunisie, grâce à la Révolution du 14 janvier pour la dignité, la liberté et l’égalité qui a permis l’émergence d’associations indépendantes défendant les droits des migrants. Il assure que « la situation générale des migrants n’est pas satisfaisante. Depuis la Révolution, l’émigration clandestine a connu une progression vertigineuse, la souffrance des familles des émigrés aussi. Même les émigrés légaux connaissent beaucoup de difficultés et sont exposés à toutes les pratiques d’intimidation, sans aucun respect de leurs droits fondamentaux ». De même, les réfugiés venus après le déclenchement de la guerre en Libye, vivent dans des conditions inhumaines.

Le Forum Tunisien pour les Droits économiques et sociaux (FTDES), appelle le gouvernement transitoire à ratifier la Convention internationale de la protection des migrants et les membres de leurs familles et réviser toutes les lois relatives à la migration notamment la loi du 3 février 2004 pour sa violation des droits des migrants.

Par ailleurs, le FDTES « attire l’attention des autorités tunisiennes pour qu’elles assument leurs responsabilités envers les migrants clandestins tunisiens en tant que citoyens qui doivent être protégés et défendus ». Il propose de former une commission indépendante « pour enquêter sur les circonstances et les faits concernant le sort des centaines de personnes disparues. L’Etat tunisien est dans l’obligation de soutenir leurs familles moralement et matériellement et appelle les pays européens à mettre fin aux approches sécuritaires dans le traitement de cette question ».

L’orateur exprime son respect pour l’action de l’Observatoire National de la jeunesse et l’Office des Tunisiens à l’étranger.

Silence des autorités

Mehdi Mabrouk, sociologue, rappelle que la Révolution a coïncidé avec de grandes vagues de migrations.

Leur nombre a été de 35.000 au cours des deux premiers mois. Il est, aujourd’hui, de l’ordre de 40.000. « Malheureusement, on ne pouvait en parler la voix haute », dira le sociologue qui ajoute que « les autorités tunisiennes, surtout le ministère d’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères ne favorisent pas l’information dans ce domaine. »Les expulsions, se font quotidiennement et personne ne livre des chiffres.

On parle de 1.000 disparus et 140 décédés dont les corps ont été repêchés. La vérité doit être connue. Par ailleurs, 3400 migrants sont en Tunisie dans une situation catastrophique.. Des viols, des vols et de la prostitution sont enregistrés dans les camps Choucha. La situation est déplorable. « La société civile défend leurs droits, tout en défendant les droits des Tunisiens à l’étranger », dira Mehdi Mabrouk, en ajoutant qu’une forme de « xénophobie est apparue chez ceux qui habitent dans les frontières ».

Une étude a été faite sur 250 disparus. Elle concerne les familles qui ont contacté le Forum. Ce n’est pas un échantillon représentatif, mais indicatif.

L’étude a concerné 90% de disparus et 10% de décédés.

La répartition par tranche d’âge, montre que 73% ont entre 20 et 40 ans. Les jeunes qui ont fait la révolution émigrent.

La répartition par gouvernorat accorde le grand lot à Tunis avec 55%, peut-être parce que le Forum est installé à Tunis. « La capitale constitue le stock des migrants clandestins », dira le conférencier. Les quartiers populaires, El Wardia, Ettadhamen, Zahrouni, Sidi Hassine, Djebel Lahmar, El Mourouj, Hammam-Lif, El Kabaria, … sont les plus grands pourvoyeurs de migrants clandestins. La précarité sociale est très présente dans ces quartiers.

La répartition par catégorie socio-professionnelle, fait ressortir 27% d’ouvriers, 24% d’élèves et, pour la première fois, 21% d’étudiants. Pratiquement la moitié des disparus sont des élèves et des étudiants.

Parmi les dates de disparition, la journée du 29 mars 2011 est considérée comme une journée noire avec un taux de 57%.

Après l’accord conclu avec l’Italie, le 4 avril 2011, ce taux a baissé.

Coup d’envoi à Zarzis

Abderrahmène Hdhili, affirme que « dans l’histoire de l’émigration clandestine, en Tunisie, on n’a jamais enregistré des vagues aussi importantes ».

5400 jeunes ont quitté Zarzis en 3 ou 4 jours.

« Lorsque nous nous sommes rendus sur les lieux, on a remarqué que les jeunes ont exploité le relâchement sécuritaire. Ils sont tous originaires de la région de Zarzis. Ils ont refusé de prendre avec eux des jeunes originaires d’autres régions. Sfax a pris la relève par la suite. Des camps ont été mis en place. Et les candidats à l’émigration clandestine venaient des autres régions du pays, surtout des quartiers populaires de la capitale », dira Abderrahmène Hdhili.

Les jeunes qui ont fait la Révolution savaient qu’à moyen et court termes, il n’y avait pas de solution pour eux.

Presque 30.000 ont quitté le pays. Plus d’un millier de familles vivent sur des rumeurs.

L’administration n’a pas réagi. Jusqu’à aujourd’hui, les familles et la société civile n’ont pas d’interlocuteur.

Quant aux associations européennes, elles sont plus engagées dans la lutte pour les droits des migrants installés sur le sol tunisien que pour les Tunisiens rassemblés dans des conditions inhumaines aux centres d’accueil en Italie.

La cause étant tunisienne, ces problèmes ne peuvent être résolus que par la création d’une commission d’enquête indépendante qui visite ces centres d’accueil.

Des demandes ont été adressées au ministère des Affaires étrangères pour transmettre les empreintes digitales, afin de reconnaître les migrants sans papier d’identité. Ces demandes ont connu un refus.

En attendant la formation du nouveau gouvernement, les familles ne resteront pas les bras croisés.

C’est un des premiers dossiers à traiter.

Les familles veulent une seule chose : savoir si leurs enfants sont morts ou vivants.

L’orateur déplore que tous les partis politiques arrivés au pouvoir ont tourné le dos à la cause des migrants tunisiens. Ils ont fait machine arrière, après avoir exploité ce dossier contre le régime..

A la question de l’importance de la proportion des élèves, mineurs, Mehdi Mabrouk, dira que cela révèle le sentiment que « l’école ne représente plus un ascenseur social ».

Une équipe de travail composée d’experts tunisiens comme Soumaya Ben Achour, Hafidha Chékir, Saïda Garrache, a été formée. Elle élaborera des propositions de loi pour protéger les droits des migrants.

Hassine BOUAZRA