Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde
Fondé en Belgique le 15 mars 1990, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) est un réseau international constitué de membres et de comités locaux basés en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il agit en coordination avec d’autres organisations et mouvements luttant dans la même perspective (Jubilé Sud et d’autres campagnes agissant pour l’annulation de la dette et l’abandon des politiques d’ajustement structurel).
Charte politique du CADTM International ( Adoptée à Belém en janvier 2009)
Préambule :
En 1989, « l’appel de la Bastille » est lancé à Paris : il invite toutes les forces populaires du monde à s’unir pour l’annulation immédiate et inconditionnelle de la dette des pays dits « en développement ». Cette dette, écrasante, ainsi que les réformes macro-économiques néolibérales imposées au Sud à partir de la crise de la dette de 1982, ont provoqué l’explosion des inégalités, une pauvreté de masse, des injustices criantes et la destruction de l’environnement. C’est en réponse à cet appel, et pour lutter contre la dégradation générale des conditions de vie de la majorité des peuples, que le CADTM est créé en 1990. Aujourd’hui, le CADTM International est un réseau constitué d’une trentaine d’organisations actives dans plus de 25 pays répartis sur 4 continents. Son travail principal, axé sur la problématique de la dette, consiste en la réalisation d’actions et l’élaboration d’alternatives radicales visant l’émergence d’un monde basé sur la souveraineté, la solidarité et la coopération entre les peuples, le respect de la nature, l’égalité, la justice sociale et la paix.
Depuis la création du CADTM, le contexte international a évolué. Sur le plan de l’endettement, une évolution importante est à prendre en compte : la dette publique interne augmente très fortement. Globalement, deux grandes tendances opposées sont à l’oeuvre à l’échelle internationale. D’une part, l’offensive capitaliste néolibérale, menée principalement par le G7, le FMI, la BM et l’OMC, toutes au service des transnationales et du capital financier international, s’est poursuivie et approfondie. D’autre part, une contre-tendance se développe depuis la fin des années 1990 : puissantes mobilisations populaires contre l’offensive néolibérale, en particulier en Amérique latine, renforcement du mouvement social international qui lutte pour « d’autres mondes possibles », élection de présidents prônant une rupture avec le néolibéralisme, initiatives en matière d’audit de la dette et de suspension de paiement de la dette extérieure publique, début de récupération du contrôle de l’État sur des secteurs stratégiques et sur les ressources naturelles, échec de projet néolibéraux tels que l’ALCA, résistances à l’impérialisme en Irak, en Palestine et en Afghanistan. L’évolution du rapport de force entre ces deux grandes tendances dépendra largement des réactions populaires face à la crise internationale à multiples facettes (financière, économique, sociale, politique, alimentaire, énergétique, climatique, écologique, culturelle).
Charte politique
1 – La dette publique (externe et interne) engendre un transfert massif de richesses des peuples du Sud vers les prêteurs, les classes dominantes locales prélevant leur commission au passage. Tant au Nord qu’au Sud de la planète, la dette constitue un mécanisme de transfert des richesses créées par les travailleurs-euses et les petit(e)s producteurs-trices en faveur des capitalistes. L’endettement est utilisé par les prêteurs comme un instrument de domination politique et économique qui instaure une nouvelle forme de colonisation. Malgré leurs innombrables richesses naturelles et humaines, les peuples du Sud sont saignés à blanc. Dans la plupart des pays du Sud, le remboursement de la dette publique représente chaque année une somme supérieure aux dépenses d’éducation, de santé, de développement rural et de création d’emploi . Les initiatives d’allégement de dette de ces dernières années n’ont été que des marchés de dupes d’autant qu’elles ont été assorties de conditionnalités néfastes pour les pays qui en ont « bénéficié ».
2 – l’objectif premier du CADTM est l’abolition immédiate et inconditionnelle de la dette publique du Tiers Monde et l’abandon des politiques d’ajustement structurel. Pour atteindre cet objectif, le CADTM International agit pour la réalisation des actions suivantes :
- Impulser des processus de diffusion, conscientisation, organisation et action des peuples endettés.
- Mise en place d’audits de la dette, avec participation citoyenne, ayant pour objectif de répudier toutes les dettes odieuses et illégitimes
- Décisions unilatérales et souveraines des gouvernements qui déclarent la nullité de la dette publique et stoppent le remboursement de celle-ci
- Rupture des accords avec le FMI et la Banque mondiale
- Mise en place d’un front uni de pays pour le non paiement de la dette
- Reconnaissance de la doctrine de la dette odieuse en droit international
- Refus de toute forme de conditionnalités imposées par les prêteurs
- Rétrocession aux citoyennes et citoyens des pays du Sud des avoirs détournés par les dirigeants corrompus du Sud, avec la complicité des institutions bancaires et des gouvernements
- Versement sans conditionnalité par les puissances du Nord de réparations au titre de la dette historique, sociale et écologique- accumulée à l’égard des peuples du Sud
- Actions en justice contre les institutions financières internationales
- En cas de nationalisation de banques privées en faillite, récupération du coût de l’opération sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs
- Remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international.
- Dénonciation de tous les accords (économique, politique, militaire, etc.) qui hypothèquent la souveraineté des peuples et perpétuent les mécanismes de la dépendance
3 – Pour le CADTM, l’annulation de la dette ne constitue pas une fin en soi. Il s’agit d’une condition nécessaire, mais non suffisante, pour garantir la satisfaction des droits humains. Il faut donc nécessairement aller au-delà de l’annulation de la dette publique si l’humanité souhaite la réalisation de la justice sociale respectueuse de l’environnement. La dette fait partie d’un système qu’il s’agit de combattre dans son ensemble. Simultanément à l’annulation de dette, il est indispensable de mettre en pratique d’autres alternatives radicales parmi lesquelles :
- Eliminer la faim, la pauvreté et les inégalités.
- Garantir l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la vie.
- Mettre en place une nouvelle discipline financière en restaurant des contrôles stricts sur les mouvements de capitaux et des marchandises, en taxant le capital (taxes globales, impôts sur les grosses fortunes), en levant le secret bancaire, en interdisant les paradis fiscaux, la spéculation et l’usure.
- Porter l’aide publique au développement, exclusivement sous la forme de dons et sans aucune conditionnalité, à 1% du revenu national brut des pays les plus industrialisés en la rebaptisant « Contribution de réparation et de solidarité », en excluant dans le calcul de celle-ci les annulations de dette et les montants ne servant pas les intérêts des populations du Sud.
- Mettre en place une mobilisation de ressources non génératrices d’endettement.
- Mettre en place des alternatives qui libèrent l’humanité de toutes les formes d’oppression : oppression sociale, oppression patriarcale, oppression néocoloniale, oppression raciale, oppression de caste, oppression politique, oppression culturelle, sexuelle et religieuse.
- Mettre en place une politique environnementale ambitieuse qui vise à restabiliser le climat.
- Assurer la souveraineté économique, politique et alimentaire des peuples.
- Interdire le brevetage du vivant
- Démilitariser intégralement la planète.
- Garantir le droit de circulation et d’établissement des personnes.
- Affirmer la supériorité des droits humains sur le droit commercial et imposer aux gouvernements, aux institutions financières internationales et aux entreprises le respect de différents instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des droits humains (DUDH, 1948), la Convention sur les droits politique de la femme (1952), le Pacte international sur les Droits économiques sociaux et culturels (PIDESC, 1966), le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP, 1966), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, 1981), la Déclaration sur le droit au développement (DDD, 1986), la Convention relative aux droits des travailleurs migrants et de leurs familles (1990), la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme (1998) et la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (2007).
- Assurer la souveraineté des peuples sur leur vie et leur avenir, ce qui implique notamment de mettre dans le domaine public les ressources naturelles, les résultats de la Recherche et Développement, les autres biens communs de l’humanité et les secteurs stratégiques de l’économie.
- Sortir du système capitaliste basé sur la recherche du profit privé maximum, la croissance et l’individualisme afin de construire une société où ce sont les nécessités sociales et environnementales qui sont au cœur des choix politiques.
4 – Pour parvenir à ces changements et réaliser l’émancipation sociale, le CADTM International considère que ce sont les peuples eux-mêmes qui devront relever le défi du changement. Ils ne doivent pas être libérés, ils doivent se libérer eux-mêmes. Par ailleurs, l’expérience a montré qu’il ne faut pas attendre des minorités privilégiées qu’elles prennent en charge le bien-être des populations. Comme l’affirme l’Appel de la Bastille de 1989, « seule la solidarité des peuples peut briser le pouvoir de l’impérialisme économique. Cette solidarité ne signifie en aucun cas un soutien à ceux des régimes qui parachèvent la misère de leur pays, étouffent la voix et les droits des peuples ». Le renforcement des mouvements sociaux est une priorité pour le CADTM. Il participe, dans une perspective internationaliste, à la construction d’un large mouvement populaire, conscient, critique et mobilisé. Convaincu de la nécessité de faire converger les luttes émancipatrices, le CADTM International soutient toutes les organisations et coalitions qui agissent pour l’égalité, la justice sociale, la préservation de la nature et la paix.