Mémorandum de l’AME sur les conséquences du retour forcé :
I Nous sommes les explorateurs de nouvelles opportunités, messagers des manquements et des disfonctionnements des choix politiques de nos gouvernants, ici, durant le parcours et là-bas.
Partir à l’aventure est considéré comme une quête du droit au travail et à la liberté ; à la vie digne. Une façon de prouver son courage et son intelligence à trouver de quoi nourrir et subvenir aux besoins des siens. Ne pars pas qui veut ; il faut beaucoup de détermination pour penser et entreprendre le voyage. En se disant toujours que si l’autre a réussit ; il faut que je le fasse aussi, et très souvent par tous les moyens.
Ceux qui reviennent au bercail sont perçus comme des héros modernes ; enfants prodiges qui reviennent soulager et changer les conditions de vie des parents et de la communauté. Accéder ainsi à un statut social envié.
Ceux qui résident là-bas participent régulièrement et significativement aux opérations sociales et aux financements des travaux nécessaires de développement ; ils sont alors honorés, adulés toujours cités en exemple que les autres (ceux qui ne sont pas partis) rêvent d’imiter, mieux de surpasser. _ Ainsi se met en place le projet de l’aventure. Faire Comme….
Lorsque même un immigré de passage donne conseils à ses frères et amis sur les conditions de vie là-bas ; on lui répond : Alors qu’est ce que tu fais là-bas, et comment tu gagnes tout cet argent si c’est autant difficile ? Le candidat se demande pourquoi les devanciers durent-ils et comment font-ils pour travailler, gagner l’argent qu’ils ramènent en trophée.
La curiosité n’a d’égale en ampleur que les énergies qu’il déploiera pour atteindre l’autre coté de la mer, les risques et les affres sont sus, connus mais passent sous le silence des drames médiatisés tout le temps.
La connaissance des politiques de circulation, des lois de résidence et des opportunités de travail par les immigrants ; la conscientisation de l’opinion publique ici et là-bas sur le respect des droits des migrants nous paraît propre à relever le niveau de compréhension générale de tous.
Les politiques d’Immigration et d’asile en ouvre entraînent des pratiques inacceptables et justifient toutes les dérives. C’est un traitement inhumain, infligé à ceux et celles qui fuient la pauvreté, les conflits et les persécutions.
En ignorant les causes profondes de leurs migrations et les conséquences de leur retour forcé les lois et les états font perdre aux expulsés leurs droits de sujets, de citoyens. Proclamer l’universalité des lois et valeurs occidentales ; c’est exigé qu’elles s’appliquent à tous, sans distinctions d’origine ou de statut social car l’humanité passe par l’autre.
Le sous-développement est la cause principale de l’émigration ; mais c’est aujourd’hui plus par l’inadéquation et la non- maîtrise dans la mise en œuvre, l’application des programmes et projets de développement que les régions d’Afrique se vident vers les grandes villes et l’Europe, etc.…
II Le retour forcé est toujours ressenti par l’expulsé et sa famille comme une injustice
Une injustice faite à quelqu’un qui n’a fait qu’aller ailleurs ; essayer de changer les conditions de vie de sa communauté et de sa personne. Pourquoi on lui refuse d’aller chercher ce qu’il ne peut pas trouver ici ?
Voilà la question que tous se posent, parents, amis et concerné.
L’expulsé se retrouve où il a tout sacrifié pour quitter et revient d’où il a tout entrepris pour joindre. De là découle l’angoisse, le sentiment d’échec, la culpabilisation du retour sur la personne
Il ne sait plus quoi faire du lendemain. Surtout pour ceux qui reviennent d’une longue absence.
Très souvent il est découragé, abattu et n’a plus la force ou la volonté de se refaire ; pas même de retourner au village dans sa communauté.
C’est comme s’il n’a plus d’idées pour la suite, pour redresser sa situation. Et lorsqu’il voit la pitié dans le regard des compatissants ; cela lui donne l’envie de repartir, comme s’il n’était plus ici. Comment ? Pourquoi ? Telles sont les questions qu’il se pose constamment. Les réponses deviennent urgentes sinon c’est la précarité.
Considéré comme une victime de l’injustice par son entourage ; l’expulsé devient alors un assisté. Puisqu’il n’a rien ramené, il faut bien qu’il soit aidé et soutenu. Cela dépend surtout du milieu d’origine ; c’est ce qui détermine le degré d’assistance et la valeur du soutien qu’il peut recevoir de ses parents et amis.
Il aura alors une chance de se refaire ou bien il va entreprendre par tous les moyens de repartir.
Etant la principale source financière pour la famille et la communauté ; son retour forcé signifie la rupture dans les provisions et la fin des aides sociaux (baptêmes, mariages, décès) des aides de développement (Forages de puits, dispensaires, écoles et autres) et des ressources en périodes de soudure (stocks de céréales, frais de l’eau d’irrigation….)
Le foyer tombe dans la précarité et le quotidien devient triste pour lui ; allant souvent à la dislocation du tissu familial. La recherche de moyens de subsistance est la priorité pour tous.
Et afin de relever à nouveau le défi il va tout faire pour répartir, faute de mieux dans le pays d’origine.
C’est dans l’angoisse et la crainte des suites de l’expulsion que vivent femme et enfants dans le pays d’accueil. Et c’est avec la même pensée que l’expulsé passe son quotidien. Il a peur ; il ne sait pas comment venir en aide à sa famille là-bas. Il fera tout pour répartir s’il n’a pas les moyens de se réinsérer.
L’éloignement lui fait perdre sa responsabilité parentale et ses devoirs de chef de famille : sécurité, santé, éducation et bien être.
Il reste dans le doute et l’indécision ; en se demandant s’il faut rapatrier sa famille et comment ou s’il doit les rejoindre.
La préoccupation majeure de l’expulsé est le soutien et les aides à l’endroit de sa famille restée dans le pays d’accueil. Pas une prise en charge mais une prise en compte par des allocations sociales pour personnes en situation particulière.
La subsistance, la santé, le cadre de vie et la scolarité sont les éléments forts d’angoisse pour la personne qui a laissé une partie de lui-même quelque part à l’étranger. Etant le seul secours et la source de revenus, et maintenant laissés sans soutiens ou aides pour eux ; il fera tout pour les rejoindre.
Certains pensent même à utiliser les chemins détournés pour aller. Il est extrêmement important de se pencher et explorer ces pistes de soutien et d’aides afin d’humaniser un peu les rapports entre la personne et le pays d’accueil par l’intégration des familles.
III Nous les migrants maliens ; nous partons ailleurs pour chercher une amélioration de nos conditions de vie, nous rencontrons mille difficultés de transit ou de résidence dans les autres pays
Les migrants sont indexés, pourchassés, parqués comme des bêtes dans les enclos et pour finir nous sommes rapatriés sans mesures d’accompagnement ou droits humains indus.
Les conditions de la rétention et de l’expulsion sont autant de thèmes à débats et aujourd’hui fortement médiatisées.
Les pratiques de maitrises et d’accompagnements mises en œuvre par les agents escorteurs sont au-delà de tous les droits et conventions internationaux en vigueur ; et même si certains pays n’ont pas adhéré à toutes celles qui concernent les migrants, il est universellement reconnu des droits fondamentaux à tout être humain.
A l’arrivée dans notre pays et après l’inscription au registre de la Police de l’Air et des Frontières nous sommes laissés à notre propre compte, abandonné de tous. On ne sait même pas quoi faire.
Après de nombreuses années passées à l’extérieur, la personne en retour forcé se retrouve seule face à ses interrogations et ne sait pas où se diriger. La majorité d’entre nous ont laissé femmes, enfants et biens matériels à l’extérieur.
La précarité s’est installée dans la vie de nos membres qui ont leur femme et leurs enfants restés là-bas, ne bénéficiant même pas d’allocations ou de prestations sociales.
Nous vivons au Mali et nous pensons à notre vie brisée ailleurs.
Comment vivre quand on a laissé involontairement une partie de sa vie ailleurs, et que en plus l’on doit se refaire une nouvelle vie au pays sans préparation ni accompagnement.
Nombre d’entre nous ont été expulsé pendant qu’ils étaient en traitement médical, le plus souvent sous une prise en charge ou aide médicale d’état. Même étant « sans papiers » ils cotisent à la Caisse de Sécurité sociale et payent des impôts. Quid des économies réalisées pour la maladie ou la retraite.
Il arrive aussi des expulsés blessés ou affectés physiquement par les coups, les insultes raciales, les ligots avec du raban adhésif d’emballage aux bras, au torse et aux chevilles dans une mise en œuvre musclée qui a occasionné des fractures et des entorses des bras et des pieds, des commotions à la tête, des traces visibles des menottes trop serrées.
L’expulsé après avoir enduré toutes les affres du retour forcé se trouve confronté à ses problèmes quotidiens et sans y être préparé cela est très difficile. Ou aller, vers ou se diriger pour se réunir avec sa famille, récupérer ses biens et ses droits sociaux professionnelles, se réinstaller dans son pays, après tant d’années d’absence ? Sans repères.
Vers quelles structures faut- il aller pour soigner les blessés, faire des consultations ou poursuivre des traitements interrompus ? Quelle assistance pour la femme et enfants restés dans au pays d’accueil ?
Au regard de tous ces questionnements et face à l’attente des solutions ; l’association malienne des expulsés crée le 16 Octobre 1996 avec des maigres moyens et beaucoup d’ambitions a mis en place une cellule de sensibilisation à l’endroit du public, des conférences pour la réflexion et les débats, et des motions d’interpellation face aux politiques qui durcissent l’obtention de visa, barricadent les frontières et créent de fait les clandestins et autres sans papiers : des personnes qui n’ont d’autre crime que de vouloir jouir du droit universel humain n°13 « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »C’est-à-dire le droit d’aller ailleurs chercher une vie meilleure y résider un temps ou longtemps ; y rester ou revenir au pays d’origine.
Avec la redynamisation des activités en 2006, l’AME a initié une cellule d’accueil à l’Aéroport de Bamako-Senou afin d’offrir un soutien aux personnes en retour forcé vers le Mali.
Nous sommes chaque soir à l’accueil des expulsés pour faire venir en ville ceux qui n’ont pas de moyens, offrir on hébergement de 02 à 03 jours pour ceux qui n’ont pas de la famille à Bamako, aider ceux qui le veulent à regagner la région d’origine ou le pays pour les non- Maliens expulsés/ refoulés.
Avec l’aide d’organisations partenaires comme La Cimade, APDHA- Andalousie, Droits devant !! Médico International, Resf et des personnes de bonnes volontés nous avons acquis un local, du matériel de bureau et la mise en œuvre de l’accompagnement administratif, médical, juridique des expulsés qui sont accueillis et inscris dans nos registres.
De juillet 2007 à Décembre 2008 l’association a accueilli à son siège 276 expulsés dont 61 hébergés, 17 suivis médicaux, 49 personnes aidées au transport, 09 suivis juridiques, 04 dossiers motivés pour l’obtention d’un visa de retour aboutis. L’association est appuyé dans ses activités par un collectif de soutien d’où est issu notre plate forme d’appui juridique composée de 07 juristes et d’avocats tels que la L JDH, l’AMDH, des hommes de lois qui nous aident à travers leur cabinet.
Les intervenants de l’AME ont reçu tous une initiation aux lois européennes et françaises de séjour et de résidence, renforcée par formation au suivi juridique dispensée par la Cimade.
Ce renforcement des capacités de nos intervenants à permit à l’association d’être plus efficace mais hélas beaucoup reste à faire, au vu de l’ampleur de la tache et de nos moyens.
IV A la suite d’une mission à Gao et Kidal en Juin 2007, l’AME a installé une antenne locale pour accueillir les refoulés qui ont pu atteindre Kidal.
L’exode rurale puis l’émigration sous des conditions restrictives de la circulation ont mis beaucoup de nos jeunes frères sur les routes du désert pour tenter de franchir la méditerranée par des moyens de fortune. Au risque de leur vie alors que la mer Méditerranée n’a pas changé de bassin depuis lors. _ Ces routes sont prises par ceux qui ne peuvent obtenir de visa dans les ambassades à Bamako, Lomé. Ces migrants s‘ils ne sont morts noyés dans la mer, reviennent refoulés après avoir subis la rétention de longue durée, les brimades et les coups de matraque, la faim. _ Ils sont ballotés de frontières en frontières pour finir abandonnés aux frontières nord du Mali. Laissés à leur propre compte ils vivent encore dans l’enfer de l’aventure sauvage.
L’association à travers les 02 intervenants surplace enregistrent les personnes refoulés au commissariat de la ville et dans notre registre d’activités, héberge, soigne et accompagne au retour ceux qui veulent rentrer en famille, après avoir pris un laisser passer avec les autorités.
Du 15 juillet 2007 au 15 Mars 2008 l’AME a soutenu et aidé 583 personnes refoulées, dont 326 maliens, les autres sont des ressortissants de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale. L’association a aidé 163 personnes refoulées à rentrer en famille dans la région ou le pays d’origine, soigné ou aidé médicalement 37 personnes refoulées, 27 autres personnes aidées par la Croix Rouge, ensuite 03 personnes malades mentalement accompagnées dans la famille, 02 personne étrangère décédée dont les parents à l’extérieur du pays ont été avertit. L’enterrement s’est fait après accord des autorités de la ville de Kidal.
V L’AME dit non à l’expulsion et aux refoulements, oui à l’intégration des communautés.
- Nous exigeons l’externalisation des droits sociaux professionnels, sinon le remboursement des cotisations sociales et des impôts payés pour les personnes qui sont expulsées (leurs cotisations et leurs impôts sont acceptés et on refuse leur identité)
- Nous demandons la publication des accords bilatéraux qui seront signés.
- nous demandons la prise en charge des personnes blessées, ou maltraitées pendant l’expulsion.
- Nous demandons un fond de solidarité pour les plus démunis afin qu’ils puisent choisir de vivre ou rentrer dignement dans leur région d’origine.
- Nous demandons une attention particulière aux expulsés qui ont laissé leur femme et enfants dans le pays d’accueil, leurs dossiers de regroupement familial sont toujours rejetés sans motifs.
- Nous demandons d’être engagés dans les programmes de réinsertion et de développement (ce qui est jusque là réservé aux personnes en retour volontaire)
- Nous demandons respectueusement le concours et le soutien de toutes et tous pour nous renforcer et rendre notre service social et humanitaire plus efficace auprès des personnes en retour forcé vers le Mali
Alassane Dicko, Secretaire Permanent AME
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