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20. Avril 2021 | Campagne de lettres de protestation sur la répression politique au Togo

Monsieur le Ministre fédéral des Affaires étrangères Maas,
Monsieur le Ministre fédéral Dr. Müller,

Nous avons appris par un communiqué de presse du ministère de la Coopération économique et du Développement que le ministre togolais des Affaires étrangères a effectué une visite de travail à Berlin du 16 au 18 mars 2021 [1]. Nous sommes conscients que de telles rencontres font partie du quotidien du gouvernement. Néanmoins, l'orientation et le ton du communiqué de presse nous ont fortement irrités. Il y est dit que le Togo a “mis en œuvre avec succès de nombreuses réformes” au cours des dernières années, tant sur le plan politique qu'économique. En conséquence, l'Allemagne est prête à proposer au Togo un “partenariat pour les réformes”, compte tenu également du fait que les deux pays sont liés par des relations amicales, comme cela est souligné.

Au vu de la situation actuelle des droits de l'homme au Togo, de telles appréciations sont absolument incompréhensibles. Nous souhaitons donc revenir sur une lettre que nous avons envoyée au gouvernement allemand le 5 février 2020 en vue des élections présidentielles qui étaient alors imminentes au Togo [2]. Dans cette lettre, nous faisions état de nombreuses intimidations auxquelles différents partis d'opposition avaient été confrontés à l'approche des élections présidentielles. Nous avons également attiré l'attention sur le fait que le gouvernement togolais n'avait pas mis en œuvre les réformes envisagées avec la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), notamment la recomposition de la commission électorale. En conséquence, nous avons demandé que le gouvernement fédéral allemand s'engage à organiser des élections transparentes, équitables et non violentes au Togo, et surtout que les résultats des élections ne soient pas publiés en bloc, mais par bureau de vote.

Le 14 février 2020, le gouvernement fédéral allemand a répondu à notre lettre. Elle a écrit qu'une observation électorale lors des élections présidentielles du 22 février 2020 serait garantie, entre autres, par la CEDEAO. Elle a en outre assuré que le gouvernement fédéral allemand estimait nécessaire de “publier les résultats détaillés des élections” [3]. Il est d'autant plus regrettable qu'il en ait été totalement autrement : En l'espace de 24 heures, la Commission électorale togolaise a annoncé que le président sortant Faure Gnassingé avait remporté les élections avec 72,4 % – mais aucune ventilation détaillée des résultats n'a été faite jusqu'à présent. Les observateurs n'ont été autorisés qu'en nombre très limité, à savoir 280 pour plus de 9000 bureaux de vote. Il n'est donc pas surprenant que la Fondation Friedrich Ebert ait signalé de nombreuses irrégularités immédiatement après les élections, notamment la suspension par les autorités électorales, deux jours avant les élections, du système électronique spécialement installé pour enregistrer les résultats de manière relativement infalsifiable [4].

Dans une deuxième lettre datée du 4 mars 2020, Afrique-Europe-Interact a abordé en détail ces problèmes et d'autres, en s'appuyant sur les connaissances acquises par une délégation de trois personnes de notre organisation au Togo la semaine précédant les élections [5]. Dans ce contexte, nous regrettons vivement que le gouvernement fédéral allemand n'ait pas répondu aux nombreuses questions et recommandations de notre deuxième lettre. Car nous nous sommes naturellement demandé quelles conséquences le gouvernement fédéral tirait du fait que tous les indices disponibles indiquaient que les récentes élections présidentielles au Togo s'étaient déroulées dans des conditions irrégulières à plus d'un titre.

Mais cela ne s'est pas arrêté là. En effet, même après les élections, les forces de sécurité de l'État ont continué à commettre de graves violations des droits de l'homme, notamment des détentions arbitraires, des actes de torture, des violences excessives de la part des forces de sécurité, des violations de la liberté de réunion et d'expression et le harcèlement des syndicats. Parallèlement, les journalistes ont été régulièrement victimes d'intimidations, notamment en ce que les journaux ont dû suspendre leur parution pendant des semaines après avoir publié des informations gênantes sur la corruption et d'autres actes répréhensibles. Beaucoup de ces cas sont documentés dans un mémorandum que 24 organisations de la société civile et 11 partis politiques ont publié le 16 février 2021 au Togo [6]. La section européenne d'Afrique-Europe-Interact soutient ce mémorandum, y compris l'objectif d'attirer l'attention de l'opinion publique internationale sur ce qui se passe au Togo [7].
Nous souhaitons donc demander au gouvernement fédéral allemand quelles conclusions il a tirées des irrégularités des récentes élections présidentielles, y compris du fait qu'il n'y a pas eu d'observation sérieuse des élections ni de publication détaillée des résultats, comme il l'avait demandé. En outre, nous aimerions savoir si le gouvernement fédéral allemand a abordé les violations massives des droits de l'homme au Togo lors de ses entretiens avec le ministre togolais des Affaires étrangères en mars. Cela inclut la question de savoir si le gouvernement fédéral allemand a connaissance du mémorandum susmentionné et s'il est en discussion avec les autorités togolaises à ce sujet, notamment en ce qui concerne la libération de dizaines de personnes détenues arbitrairement. Dans ce contexte, nous sommes également intéressés à savoir si le gouvernement fédéral allemand a pris contact avec les initiateurs du mémorandum, notamment pour protéger efficacement ce qui est probablement la voix la plus courageuse de l'opposition togolaise.

Nous posons ces questions aussi parce que nous partageons la demande formulée lors des récentes manifestations de masse de l'opposition togolaise en 2018/2019, selon laquelle le président Faure Gnassingbé doit démissionner pour permettre un véritable nouveau départ au Togo. Faure Gnassingbé est arrivé au pouvoir en 2005 à la suite d'élections truquées. Lors des manifestations, environ 900 personnes ont été tuées par les forces de sécurité de l'État, 4.000 ont été blessées et au moins 60.000 ont dû fuir vers les pays voisins, le Ghana et le Bénin – des chiffres énormes pour un pays qui à l'époque comptait 5 millions d'habitants. Depuis lors, toutes les élections présidentielles et législatives ont été truquées ou ont fait l'objet d'appels au boycott de la part de l'opposition. Cela vaut également pour les élections locales de 2019, dont le gouvernement allemand a fait l'éloge pour la première fois, et qui ont fait l'objet d'une enquête détaillée de la part de l'alliance de la société civile “Les Universités Sociales du Togo” [8]. De plus, contrairement à la Constitution, Faure Gnassingbé est à son 4e mandat, résultat d'une loi complémentaire arbitraire en mai 2019. En bref, nous partageons l'appréciation de la Friedrich Ebert Stiftung selon laquelle le Togo ne serait qu'une démocratie de façade. Le pays est dirigé depuis 54 ans par la même famille, il est donc déplacé de parler de relations amicales comme le fait le gouvernement allemand dans son communiqué de presse cité plus haut. En outre, la coopération économique doit toujours être soumise à la condition que des améliorations substantielles soient apportées dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratie. Si ce n'est pas le cas, la position des personnes au Togo qui ont pris de grands risques personnels depuis des décennies pour démocratiser la société togolaise, y compris dans le domaine de l'engagement syndical, sera affaiblie.

Brême/Berlin/Vienne, le 20 avril 2021

Notes de bas de page :

[1] Communiqué de presse du 18.03.2021. Téléchargement : https://www.bmz.de/de/aktuelles/reformpartnerschaft-togo-absichtserklaerung-66386

[2] Téléchargement : https://afrique-europe-interact.net/1850-0-Brief-an-Bundesregierung-02-2020.html

[3] La réponse du gouvernement fédéral peut être trouvée sous le lien de la note de bas de page [1].

[4] Téléchargement : Hans-Joachim Preuss : Und ewig grüßt die Dynastie. Le règne permanent de la famille Gnassingbé au Togo se montre intouchable. L'opposition divisée en porte aussi la responsabilité. Téléchargement : https://www.ipg-journal.de/regionen/afrika/artikel/detail/und-ewig-gruesst-die-dynastie-4102/

[5] Téléchargement : https://afrique-europe-interact.net/1955-0-Pressemitteilung-Maerz-2020.html

[6] L'original du mémorandum peut être téléchargé entre autres à l'adresse suivante : https://blogs.mediapart.fr/francois-fabregat/blog/050421/togo-memorandum-pour-larret-de-la-vague-repressive-en-cours-d-acceleration. On y trouve également des listes de noms de personnes qui ont perdu la vie à la suite de mauvais traitements dans les prisons ou qui sont actuellement détenues de manière arbitraire.

[7] Afrique-Europe-Interact a traduit le mémorandum en allemand. Nous avons également rédigé un résumé de deux pages reprenant les principales déclarations. Téléchargement : https://afrique-europe-interact.net/2056-0-Komitee-fuer-die-Freilassung-der-politischen-Gefangenen.html

[8] Télécharger : “IRRÉGULARITÉS DANS LES ÉLECTIONS AU TOGO : NICHES POUR LA FRAUDE ?” Downlaod: https://www.lesust.org/gallery/rapport%20fraude%20%C3%A9lectorale%20au%20togo%202019%20ust%20basse%20d%C3%A9f.pdf