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Tunisie: les réfugiés toujours dans l'attente (Slate Afrique: 16/05/2012)

Par Sophie Janel

Abdulrezak déjeune avec trois autres Somaliens derrière le comptoir d’une petite échoppe qui vend des shampoings, des tubes de dentifrice et autres produits. Ce jeune homme de 27 ans est le leader de sa communauté dans le camp de réfugiés de Choucha, situé dans le sud de la Tunisie, à la frontière libyenne.

Ouvert peu après le début de la guerre en Libye (de février à octobre 2011), ce camp du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) accueille toujours près de 3.000 personnes, sur les 17.000 présentes au début. Depuis, la vie s’est organisée. Le Danish Refugee Council «apporte de la bonne humeur», note Abdulrezak arrivé à Choucha le 3 mars 2011, des petits magasins ont ouverts, «il y a même un restaurant dans le secteur soudanais».

«Ce camp est unique dans le monde. Il est comme une petite ville. Normalement, un camps de réfugiés ne comprend qu’une ethnie, qu’une nationalité, ici, il y en a 22», s’enthousiasme Ursula Schulze Aboubacar, la représentante de l'UNHCR à Tunis.

Le rêve américain

De larges allées de sable séparent les tentes blanche siglées UNHCR. Un écriteau vert sur lequel des listes de noms sont affichées, informe les réfugiés des dates et heures des entretiens en vue de leur réinstallation.

Le 4 mai, 2.579 réfugiés étaient en cours de procédure, selon les statistiques du HCR. «Environ 10% ont le statut de réfugié mais n'ont été acceptés dans aucun pays. On devrait les intégrer localement (en Tunisie, ndlr). Mais il y a des départs presque toutes les semaines et cela m'encourage», se réjouit Ursula Schulze Aboubacar. En mars, 99 réfugiés ont quitté le camp pour l'Australie, la Norvège ou encore les États-Unis.

De retour dans sa tente au décors très sommaire, Abdulrezak pointe du doigt le costume marron suspendu au-dessus de lui, celui qu’il a enfilé à chaque entretien pendant un an, durée de la procédure pour être accepté aux États-Unis. Il a décroché, début mai 2012, son certificat de «culture américaine». Dernière étape avant d’obtenir son billet d’avion.

«Sponsorisé» par la Croix Rouge

L’ancien chanteur de Mogadiscio ne sait pas s'il va vivre à Chicago, New York ou Miami. Il se prend à rêver de Miami, lorsqu'une femme entre dans la tente pour demander un conseil. Son téléphone sonne sans arrêt. Il n'a pas le temps de goûter son plaisir. Depuis qu'il est leader de sa communauté, il reçoit les plaintes et informe les quelque 1.000 Somaliens présents à Choucha – dont une centaine n'a pas le statut de réfugié et ne sait pas de quoi son avenir sera fait. Au total, ils sont 283 dans le camp à vivre cette situation, à l'image de Bright.

Malgré l'air lourd et moite qui emplit cette habitation de fortune, ce Nigérian fume clope sur clope. «Il n’y a que ça à faire ici», lâche-t-il, tout en gardant son large sourire. Pantalon de jogging noir, pull coloré, il est «sponsorisé» par la Croix Rouge. Dépouillé de son argent et de ses papiers par les autorités libyennes, selon ses dires, il est arrivé le 28 février 2011 et a depuis été débouté.

Le jeune de 28 ans, qui laisse pousser les ongles de sa main gauche par coquetterie, n’a pas eu plus de chance en appel. Sans statut officiel, il reste ici, ne sachant où aller.

«Je ne peux pas rentrer au Nigeria car je risque ma vie, je ne veux pas retourner en Libye et je n’ai jamais demandé à être en Tunisie», lance cet ancien «activiste» de la région du Delta du Niger.

Vide juridique

«Ces personnes ne sont pas de notre ressort. Elles sont suffisamment débrouillardes pour trouver une solution. L’Organisation Internationale aux Migrations va offrir des billets à ceux qui veulent rentrer dans leur pays, se défend Ursula Schulze Aboubacar. En restant ici, elles prennent le risque d’être en situation illégale tant qu’elles ne mettent pas à jour leur titre de séjour. Seules les autorités tunisiennes peuvent faire quelque chose. Pour le moment, elles ne le font pas et je les respecte pour ça. Ces personnes sont tolérées à Choucha mais de façon in-officielles.»

En 2011, le budget alloué au camp de Choucha s’est élevé à 21 millions de dollars. Il n’est plus que de 12 millions pour l’année 2012. Avec cette somme, l’organisation des Nations Unies finance, notamment, la nourriture et les salaires des employés des Nations Unies et des travailleurs journaliers, dont le nombre a été revu à la baisse au début de l'année 2012.

Selon Ursula Schulze Aboubacar, «107 personnes ont été licenciées, il reste une centaine d'employés pour assurer les repas». Ces remerciements n'ont pas été sans conséquence. Durant plus de deux mois, les employés des différentes organisations internationales qui officient à Choucha n'ont pu s'y rendre en raison d'un blocage organisé par d'anciens travailleurs journaliers. «Ce n'est qu'une trentaine de personnes. Les autorités tunisiennes n'ont pas voulu utiliser la force. Du coup, les négociations ont été un peu longues», explique la représentante du HCR qui avait alors décidé de réorganiser le camps et d'impliquer les réfugiés.

«Le HCR nous avait demandé de nettoyer le secteur somalien, raconte Abdulrezak. Mais un villageois a menacé de me tuer et de brûler ma tente si on continuait. Depuis, c'est sale !», lâche-t-il en levant les mains comme s'il était en état d'arrestation.

«Entré à Choucha en bonne santé, maintenant je suis handicapé»

Peur ? «Évidemment qu'on a peur ! Le HCR nous dit qu'on est protégés mais les habitants nous menacent tout le temps. Par exemple, des personnes ont coupé l'eau en mars. Le HCR m'a appelé pour aller la rebrancher. Haha ! Non, ils y vont eux», rigole-t-il. A ses côtés Bright surenchérit: «On nous dit que l'armée nous protège, mais elle nous a tiré dessus.»

Soulevant son tee-shirt, Jamel, montre les tâches brunes représentant les impacts de balles qu'il a reçues le 6 mai 2011 alors qu'il se trouvait dans le camp. Une large cicatrice parcourt son ventre de haut en bas.

Ce Nigérian entré à Choucha le 16 mars avait voulu aider un compatriote qui se faisait «frapper par des soldats tunisiens » après avoir «compté ses sous» en public.

«J'étais sous la protection des Nations Unies. Je suis entré à Choucha en bonne santé et maintenant je suis handicapé, dit-il en montrant les radios de sa jambe droite disloquée. C'est au HCR de me trouver une solution».

Lui a également été débouté et assure ne pas pouvoir rentrer dans son pays. Alors que la Tunisie a signé la Convention de Genève, «il n'y a pas de législation pour les demandeurs d'asile», souligne Ursula Schulze Aboubacar. L'organisation des Nations Unies travaille en collaboration avec le ministère de la Justice afin de mettre en place une loi. «Mais il faut compter environ une année », note cette Allemande.

Dans sa tente lumineuse et nouvellement installée, Samia (son prénom a été changé à sa demande) ne cache pas son inquiétude. Cette Somalienne est arrivée dans le camp mi-mars avec 73 autres compatriotes. Alors qu'elle était partie de Libye en bateau, direction Lampedusa, elle a été récupérée en mer par l'armée tunisienne qui l'a rapatriée à Sfax et emmenée directement à Choucha.

Alors que le programme de réinstallation des réfugiés a été clôturé en décembre, elle vit au rythme des rumeurs du camp. «Certains disent qu'on va rester en Tunisie. D'autres racontent que des gens sont morts ici, que des tentes ont été brûlées. J'ai peur, je ne sais pas ce que je fais ici», raconte cette jeune femme de 18 ans qui a fui son pays après avoir été séquestrée par des shebabs, les islamistes radicaux en Somalie.

Le 22 mai 2011, une vingtaine de tentes sont en effet parties en fumée. Bilan: quatre Erythréens sont décédés. Même si rien ne prouve que ce feu était d'origine criminelle, un groupe de réfugiés avaient alors bloqué les routes accusant des Tunisiens de Ben Guerdane, la ville la plus proche du camps, d'être à l'origine de l'incendie, ce qui provoquent de nombreux incidents. Tentes brûlées, pillages, décès, ce mois de mai 2011 est dans toutes les têtes à Choucha.

Et la crainte que cela ne recommence est toujours prégnante.

«Nous avons demandé à déplacer le camp et l'éloigner de la frontière et de Ben Guerdane, mais les autorités n'ont pas voulu. Elles craignaient que le camp devienne pérenne et ne soit plus un camp de transit», regrette Ursula Schulze Aboubacar, tout en assurant que ce n'est pas au HCR d'assurer la sécurité, mais «aux autorités locales».

Alors que le camp devrait être fermé en juin 2013, selon le HCR, l'organisation internationale est en train de réfléchir à créer une entrée principale et rehausser les dunes autour pour contrôler un peu plus l'accès.

Sophie Janel