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Héritage colonial

Quelques points de repères sur le conflit de ces dernières décennies avec les Touaregs, au nord du Mali (8 Decembre 2012 dans un journal de Afrique-Europe-Interact)

Tout le monde est sous le choc de la prise de pouvoir des Islamistes radicaux en juin de cette année, dans l’ensemble du nord du Mali. Car jusqu’à présent, le Salafisme et le fondamentalisme n’avaient pratiquement pas d’assise sociale dans l’islam des pays d’Afrique de l’ouest, traditionnellement tolérant et fortement marqué par le soufisme. Autant dire que la population, majoritairement musulmane, souhaite fortement pouvoir se débarrasser aussi rapidement que possible du joug de la charia imposé avec une brutalité sans scrupule. En même temps, on ne doit pas perdre de vue que, dans ce pays, le conflit entre la population Touareg au nord et le gouvernement central de Bamako reste non résolu, depuis l’indépendance. Car personne ne conteste que sans le soulèvement des rebelles Touaregs, alors leurs alliés, les Islamistes, dont l’Al Qaida du Maghreb, n’auraient jamais réussi à prendre le contrôle d’une région grande comme la France.

Un petit problème quand même : en Europe, lorsqu’il s’agit des Touaregs, qui se définissent eux-mêmes comme les Kel Tamasheq (« Les gens qui parlent Tamasheq »), on tombe facilement dans un romantisme exotique, introduit à l’origine par des ethnologues et explorateurs occidentaux. A cause de leur habit bleu indigo, on les nomme les « hommes bleus du désert », on en parle toujours comme des gens fiers, parfois sans peur qui auraient, depuis la période coloniale, défendu âprement leur liberté nomade.

La réalité est plus complexe et surtout contradictoire, car le projet annoncé par les rebelles laïcs du MNLA d’un Etat indépendant Touareg, l’« Azawad », dans le nord du Mali, se heurte à un large refus au sein de la population malienne et ceci pour quatre raisons au moins : premièrement, les Touaregs représentent tout au plus 32% de la population vivant dans cette région aride du nord- dans les deux plus grandes villes Gao et Tombouctou, ils ne dépassent pas les 15%- ce serait donc tricher que de parler d’autodétermination nationale des Touaregs. Il faudrait rajouter à cela que dans le cas du Mali, les frontières historiques et coloniales se confondent et que déjà depuis l’empire Malinké au XIIIème siècle, dans cette région, est profondément ancrée une vie en commun multiethnique et polyglotte. Deuxièmement, au Mali qui occupe la 175ème place sur la liste de l’index du développement humain de l’ONU, la plupart des gens souffrent d’une pauvreté extrême. Il est déplacé de parler discrimination, surtout après les derniers grands accords de paix de 1996 où il y a eu des améliorations notables en faveur du nord, même si une partie considérable de l’argent mis à disposition s’est perdu dans les dédales de la corruption de l’administration du nord principalement aux mains des Touaregs. Troisièmement, les Touaregs n’ont pas du tout été les seuls bergers nomadisants à avoir fait les frais des restrictions opérées en faveur des paysan-ne-s sédentaires, après l’indépendance. Les Peuls, appelés Fula en anglais, Fulbe en allemand, aussi nombreux que les Touaregs ont aussi été touchés par ces mesures. Quatrièmement, ce sont particulièrement les deux grandes périodes de sécheresse de 1968 à 1973 et de 1983 à 1985, responsables de l’anéantissement de 80% du cheptel, qui ont poussé de nombreux Touaregs à migrer vers l’Algérie, la Libye et la Côte d’Ivoire. Ce qui, selon la critique, a conduit paradoxalement à ce que beaucoup de Touaregs, de retour à la fin des années 80, comparant le Mali avec leurs pays d’accueil à la situation économique nettement plus favorable, ont déduit de cette différence manifeste à une discrimination des Touaregs.

Donc, tout porte à croire qu’il ne faut pas chercher les raisons profondes du soulèvement des Touaregs dans des discriminations actuelles, mais plutôt dans l’histoire même du conflit, surtout dans ses débuts, bien souvent douloureux pour les deux parties. Quand en 1960, sur le territoire de l’ex-Empire colonial français, le Mali, le Niger et le Burkina Faso actuel, entre autres, obtinrent l’indépendance (selon le tracé progressif des frontières consécutif à la conférence Congo de Berlin en 1885, dans l’Afrique soumise à la colonisation), les Touaregs se sont vus confrontés à un morcellement de leurs régions d’habitation et de transhumance habituelles par l’émergence de l’Etat nation. Il fallait donc s’attendre à ce que nombre d’entre eux refusent toute forme de coopération avec l’Etat malien naissant, surtout parce que ce dernier promulgua rapidement des lois qui non seulement entravaient, à l’aide d’impôts, de taxes à l’exportation et autres mesures, l’économie pastorale nomade, mais aussi parce qu’il mettait en cause les structures féodales de castes de la société Touareg d’alors. Mais inversement, il existe de très grandes réserves à leur égard, comme par exemple par rapport au fait que dans les années 60 encore il était courant chez les Touaregs d’avoir des esclaves noirs bien que dans les colonies françaises l’esclavage avait été aboli depuis 1905. Selon l’historien Baz Lecocq, tout ceci a conduit à une spirale d’accusations réciproques pendant toute la période de la mise en place de l’Etat. Par la suite, le nouveau gouvernement de Bamako aurait considéré les Touaregs comme des « nomades partisans de l’esclavage, paresseux, féodaux, anarchistes, blancs et ayant un grand besoin de civilisation » tandis qu’aux yeux de l’élite Touareg les politiciens maliens n’étaient que des « esclaves camouflés et avides de pouvoir, peu fiables, incompétents et noirs ». Rien d’étonnant donc à ce qu’éclate en 1962 la première rébellion, réprimée, à vrai dire, très durement.

Un cas de figure qui devait désormais se répéter régulièrement et connaître une véritable escalade entre 1992 et 1994. En premier lieu à cause d’un fait, qui a joué un rôle important lors du conflit d’alors, et est valable encore aujourd’hui : c’est que les anciens esclaves et leurs descendants, les Iklans (Tamasheq) ou les Bellas (Songhaï) constituent la caste plus basse de l’organisation sociale Touareg.

Et pourtant : aussi douloureux qu’aient été les conflits pour les populations civiles respectives, ils contiennent aussi des exemples positifs, comme en particulier en 1994/95 lorsque les acteurs de la société civile des deux parties, les uns contournant l’armée malienne, les autres le commandement de la rébellion Touareg, engagèrent rapidement des pourparlers pour la paix qui aboutirent, en mars 1996, à la destruction par le feu des armes de Tombouctou, un événement appelé « la flamme de la paix ». Ce sont des expériences comme celles-là qui font naître au sein de la section malienne d’AEI l’espoir, prudent, de pouvoir résoudre la double crise actuelle en bonne intelligence, c'est-à-dire par le dialogue, non seulement avec les Touaregs, mais aussi avec une partie des Islamistes. Le fait est que beaucoup de gens craignent, au vu de la situation de toute façon déjà délicate, une escalade incontrôlée du conflit. La volonté d’au moins essayer de trouver des solutions passant par le dialogue en est d’autant plus forte, même si on estime les chances de succès très minces, même avec Ansar Dine (« le défenseur de la foi ») qui en tant que plus grand groupe islamiste du nord parmi les trois existants participe en ce moment aux négociations.