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Frontière Sahara: les camps de détention dans le désert libyen

By Fortress Europe (01/2009)

SEBHA – «Avec nous, dans le camion, il y avait une enfant âgé de quatre ans, avec sa mère. Nous étions entassés comme des animaux à l'intérieur du conteneur, sans air ni espace. Je me demandais comment un enfant pouvait être mis dans ces conditions. À l'intérieur du conteneur il faisait très chaud. Le voyage dura 21 heures. De 16 h à 13 h le lendemain. On n’avait rien à manger. Les gens étaient obligés d’uriner l’un devant les autres. Lorsque les chauffeurs s’arrêtaient pour manger ou pour prier, nous mettions l'enfant au près de la petite fenêtre du conteneur. Il s’appelait Adam. Enfin nous arrivâmes à Kufrah. Quand je sortis je volai du pain qui était accroché à l'extérieur du conteneur. Nous n'avions rien mangé depuis la veille. Nous étions 110 personnes. Y compris Adam âgé de quatre ans et sa maman »1.

Menghistu n'est pas le seul à avoir été efermé dans un conteneur et puis déportés. En Libye c’est tout à fait normal. Les conteneurs sont utilisés pour transporter d’une prison à l’autre les migrants arrêtés sur le chemin de l'Europe. Il y a trois types de conteneurs. Le plus petit est une voiture pick-up. Le moyen est l'équivalent d'un minivan. Et le plus grand est un véritable conteneur, couleur bleue, avec trois petites fenêtres par côtés, tiré par un camion articulé. La première fois que j'ai entendu parler des conteneurs, il était au printemps 2006, au cours d'une entretien avec un réfugiés érythréen en Italie. À l'époque, je ne voulais pas le croire. L’image de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants enfermés dans une boîte en fer afin d'être concentrés dans un camp de détention, sans avoir commis aucun crime, et puis déportés, me rappelait les fantômes de la Deuxième Guerre mondiale. Il me semblait trop pour être vrai. Mais l'image des conteneurs revenait, comme une preuve d'authenticité, dans tous les récits des réfugiés passés par la Libye, que je rencontrais. Jusqu'à ce que j'ai pu voir ces conteneurs de mes propres yeux.

Sebha est la capitale historique de la région du Fezzan. Nous sommes aux portes du grand désert de la Libye. Jusqu'au siècle dernier, cette ville était un important point de transit pour les caravanes qui traversaient le Sahara. Aujourd'hui, le passage des caravanes a été remplacé par celui des migrants. Le colonel Zarruq est le directeur du nouveau centre de détention des migrants de la ville. Il a été inauguré le mois d’août 2008. Les trois bâtiments derrière le mur peuvent détenir jusqu'à 1.000 personnes. Dans le parking sale, je vois le camion avec le conteneur. Le directeur me montre le tracteur. Un Iveco Trakker 420, six roues. Le compteur kilométrique indique 41.377 km. Il est presque nouveau. Zarruq me dit que le camion est arrivé la nuit précédente depuis Qatrun, à quatre heures de désert d'ici. A bord il y avait 100 prisonniers, arrêté à la frontière avec le Niger. Nous entrons à l'intérieur du conteneur, par les escaliers d’arrière. L'atmosphère est claustrophobe, même s’il est vide. Il est difficile d'imaginer ce qu’il pourrait être avec 100 ou 200 personnes entassées dans cette boîte de fer. La lumière du soleil filtrée par la poussière, éclaire les bidons vides en plastique, sur le sol, sous les bancs de fer. Sur l'un d'entre eux il y a écrit Gambie.

L'eau est le bagage indispensable pour les migrants qui traversent le désert. Avant de partir, tout le monde prend un ou deux bidons avec lui. La jute peut aider à protéger l'eau de la chaleur du soleil. L'important c’est d'y écrire son nom, pour le reconnaître. La traversée du Sahara est très dangereuse. Le camion peut avoir un problème au moteur, le chauffeur peut se perdre, ou tout simplement abandonner tous les passagers et s’en aller avec leur argent. Et puis il y a la menace des bandes armées qui souvent attaquent et volent les voitures des migrants au Niger et en Algérie. Dans des centaines de kilomètres, il n'y a rien d'autre que la sable. Des dizaines de personnes meurent chaque mois. Les nouvelles arrivent à peine. Sur la presse internationale, nous avons recueilli l’information de 1.677 migrants morts en traversant le Sahara. Mais, selon les témoignages de survivants, chaque voyage compte ses morts.

Parmi les cent dernières migrants amenés à Sebha avec le conteneur, il y a aussi une famille de Sikasso, au Mali. Père, mère et enfant. Ils ont été arrêtés trois jours auparavant, à Ghat, le long de la frontière algérienne. Je le rencontre dans le bureau du directeur. L'enfant est âgé de huit ans, il était en troisième classe, avant de partir. Son père le tient dans ses forts bras. Il parle en arabe. Il dit qu'ils n'étaient pas dirigés en Europe. Leur destination était Sebha, car ici, il avait déjà travaillé en 2002, pour une société allemande. Ils ont leur passeport avec eux, mais sans la visa d'entrée en Libye. Dans le camp de détention, ils sont enfermés dans des cellules séparées. L'enfant reste avec sa mère. Leurs noms sont sur la liste du prochain avion prêt à partir. Dans les onze premiers mois de 2008, plus de 9.000 migrants ont été expulsés de Sebha, principalement au Nigéria, Mali, Niger, Ghana, Sénégal et Burkina Faso. Seulement en Novembre, 1.120 personnes ont été rapatriées d'ici. Zarruq me montre la liste des vols: 467 Nigérians expulsés le 2 Septembre, 420 Maliens à la mi-Novembre. Les ambassades coopèrent envoyant ici leurs fonctionnaires, afin d'identifier les détenus. Kabbiun et Ajouas ont déjà rencontrés les fonctionnaires de l'ambassade du Nigéria. Kabbiun est à pieds nus. Il a perdu ses chaussures dans le désert, après son arrestation à Ghat. Ajouas au contraire a vécu six ans à Tripoli, avant d'être arrêté. Personne d'entre eux ont vu un juge ou un avocat. Leur détention n’a pas été validé par un tribunal, et il n'est pas possible ni de faire recours, ni de demander l'asile politique.

C'est le cas de Patrick. Il vient de la République démocratique du Congo, où la guerre vient d’exploser de nouveau, au Kivu. Il a été arrêté il y a un mois à Tripoli, alors qu'il cherchait un travail à la journée sur les routes près de Souq Thalatha. Nous pouvons parler librement en français, car l'interprète de la police ne comprend pas cette langue. Il sort une feuille de sa poche. Il s’agit de son certificat de demandeur d'asile. Délivré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Tripoli, le 9 Octobre 2007. Oui, Patrick a demandé l'asile et maintenant il est en attente d'être déportés. Comme les autres détenus, en fait Patrick n'a pas le droit d'appeler à l'extérieur, même pas le HCR. Si il ne va pas trouver de l'argent pour corrompre quelqu’un de la police, tôt ou tard, il sera expulsé. Et comme lui les autres. Ils sont entassés à groupe de 60-70 personnes, dans 12 chambres, de 8 mètres par 8. Les détenus dorment au sol, il n'y a pas de matelas. La lumière du soleil entre par les grandes fenêtres au dessus des hauts murs. Ils restent enfermés toute la journée. Ils ne sortent que pour les repas, dans la cantine de la prison.

Les vols d’expulsion sont opérés par des compagnies libyennes: Ifriqiya et Buraq Air. Toutes les opérations sont payés par le gouvernement libyen, dit le directeur Zarruq. Mais il est difficile de lui croire. Après tout, en Décembre 2004, la Commission européenne parlait déjà de 47 vols de rapatriement depuis la Libye, financés par l'Italie. Zarruq insiste. Selon lui, Rome n’a envoyé que deux jeeps de patrouille, à l'intérieur du projet Across Sahara. En plus, le nouveau centre de détention n'a pas été financé par l'Italie – il dit – même si Rome s’était engagés à le faire dans un premier moment. Toutefois, l’ancien bâtiment a été restauré et élargi. Et de nombreux migrants, déjà rapatriés au Niger, disent qu'ils ont été mis aux travaux forcés pour le construire. Et ils disent aussi que beaucoup de gens ont été abandonnés dans le désert, le long de la frontière, au cours des déportations. C'était l'époque de “retours volontaires”, en 2004, lorsque plus de 18.000 migrants furent chargés dans les camions et laissés au milieu du désert, avec plusieurs accidents et des dizaines de victimes. Zarruq n’en veut pas parler. Aujourd'hui, tous les rapatriements se font par avion, il dit simplement.

Le lieutenant Ghrera non plus ne veut pas rappeler ces moments-là. Ghrera est le responsable de patrouilles dans le Sahara libyen. L'Italie et l'Europe ont promis de financer un système de contrôle électronique pour le sud de la frontière libyenne, qui sera mis en place par la société italienne Finmeccanica. Il sourit. Il a travaillé dans le désert durant les 35 dernières années. Il connaît bien son domaine. Il nous amenés à Zellaf, 20 km à sud de Sebha, pour nous donner une idée de ce qui est le désert. Nous ne sommes pas encore dans le grand Sahara. Pourtant on ne voit que de la sable tout au tour. Les deux jeeps, après un tour sur les dunes à cent kilomètres à l'heure, éteignent le moteur. Ghrera et l'autre chauffeur, ‘Ali, se lavent les mains dans la sable. Ils s’agenouillent, à l'est. C’est après la prière qu’ils reviennent chez nous. Patrouiller le Sahara est impossible, dit Ghrera. La Libye a 5.000 kilomètres de frontière terrestre en plein désert. Un terrain trop grand et trop irrégulier. Les 89 passeurs – presque tous Libyens – arrêtés durant les premiers 11 mois de 2008 ne sont rien par rapport aux milliers de personnes qui traversent le Sahara chaque année. Les patrouilles sont effectuées par des groupes de 10 voitures en service pour cinq jours. Il sourit de nouveau. Il a trouvé une bouteille vide de gin, dans le sable. L'alcool est illégale en Libye. En fait, sur la bouteille il y a écrit “fabriqué au Niger”. Ghrera le jette un peu loin dans le sable. Il ne dit rien. Les passeurs ne travaillent pas seulement avec les migrants. Il y a l'alcool, les cigarettes, les drogues, les armes. Avant d’allumer de nouveau le moteur, il revient sur le point: vous pouvez doubler les patrouilles, le désert va rester une porte ouverte.

Celui de Sebha, n’est pas le seul camp de détention des migrants dans le sud de la Libye. Il y en a au moins autres cinq. Ceux de Shati, Qatrun, Ghat et Brak, dans le sud-ouest du pays, sont utilisés pour recueillir les migrants arrêtés à la frontière avec l'Algérie et le Niger, en attendant de les envoyer à Sebha. L’autres centre se trouve 800 km au sud-est de Sebha, dans la ville de Kufrah. Ils sont amenés ici les réfugiés Érythréens et Éthiopiens attrapés à la frontière avec le Soudan. Cette prison a la pire réputation, pas seulement parmi les migrants, mais même chez les Libyens.

Mohamed Tarnish est le président de l'Organisation des droits de l'homme, une ONG libyenne financé par la Fondation de Saif al Islam Kadhafi, l’aîné du Colonel. Nous nous rencontrons au café Sarayah, près de la Place Verte, à Tripoli. Depuis plusieurs années, son organisation a lutté pour l'amélioration des conditions des prisons libyennes et a obtenu la libération de plus de 1.000 prisonniers politiques libyens. À partir de 2006, cette ONG a eu accès à sept camps de détention pour les immigrés. Tarnish ne peux pas parler librement, car avec nous il y a un fonctionnaire du bureau des médias étrangers du Gouvernement libyen. Mais il nous fait comprendre que le centre de Kufrah est le pire. Il nous parle d’une structure délabrée, très surpeuplées, avec de la mauvaise nourriture et sans aucun assistance sanitaire.

Pour comprendre ce que Tarnish essayent de nous dire, je relis les entrevues faites aux réfugiés Érythréens et Éthiopiens en 2007. « Nous étions 78 personnes dans une cellule de 6 mètres par 8 » – « Nous dormions par terre, la tête à coté des pieds des voisins » – « On avait tellement faim. Une plat de riz pouvait être partagé par huit personnes » – « Dans la nuit, la police m'amenait dans la cour. Ils me demandaient de faire des exercices de gymnastique. Et quand j’étais fatigué ils me donnaient des coups de pied et maudissaient moi et ma religion chrétienne » – « Il y avait une toilette pour 60 personnes, dans la cellule il y avait toujours une mauvaise odeur. C’était impossible de nous laver » – « Il y avait des poux et des puces partout dans le matelas, dans les vêtements, dans les cheveux » – « Parfois, la police entrait dans la chambre, ils prenaient une femme et la violaient devant nous ». C’est le portrait de l'enfer. Un enfer qui est devenu aussi un lieu de business. Oui, car depuis quelques années, la police vent les détenus aux passeurs qui les amèneront à la Méditerranée. Le prix d’un homme vaut environ 30 dinars libyens, c’est à dire 18 euros.

Je n'ai pas été autorisé de visiter le camp de Kufrah et donc je n'ai pas pu vérifier personnellement ses conditions. Toutefois, le fait que tous les réfugiés avec lequel j'ai parlé pendant les trois dernières années m'ont décrit un lieu d'abus, de violence et de tortures, me fait penser que tout est vrai. En 2004, la Commission européenne écrivait que l'Italie avait financé la construction d'un centre de détention des immigrés à Kufrah. En 2007, le gouvernement Prodi l’a nié, en disant qu’en fait il avait été financé un centre sanitaire. Maintenant, il ne fait pas une grande différence. Le point est un autre. Depuis 2003, l'Italie et l'Union européenne coopèrent avec la Libye afin de lutter contre la migration. La question est: pourquoi tout le monde prétend de ne pas savoir ce que les migrants africains souffrent là-bas?

En 2005, l'ancien directeur des services secrets italiens (SISDE), le préfet Mario Mori, informa le Parlement italien: “Les migrants sans papiers en Libye sont attrapés comme des chiens” et amenés dans des centre tellement surpeuplées que “les policiers doivent porter un masque sur la bouche pour les odeurs nauséabondes”. Mais au ministère de l'Intérieur ils connaissaient déjà tout. En fait, depuis 2004, la police italienne s’occupe de la formation de leurs collègues libyens dans la lutte contre l'immigration. Et certains hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, ont visités à plusieurs reprises les centres de détention en Libye, y compris celui de Kufrah. Mais le silence a été imposé sur la réalité des choses. La même hypocrisie a été manifestée par l'Union européenne. Dans un rapport de 2004, la Commission européenne définissait les conditions des camps de détention en Libye “difficiles” mais à la fin “acceptables à la lumière du contexte général». Trois ans plus tard, en Mai 2007, une délégation de l'Agence FRONTEX visitait le sud de la Libye, y compris la prison de Kufrah, afin de jeter les bases d'une future coopération. Essayez de deviner ce qu'ils écrirent: «Nous avons apprécié à la fois la diversité comme l'immensité du désert”. Pas un seul mot sur les conditions des prisonniers. Un oubli?

[1] Testimonianza raccolta da Scuola di italiano Asinitas, Roma, 2007

SEBHA – «Avec nous, dans le camion, il y avait une enfant âgé de quatre ans, avec sa mère. Nous étions entassés comme des animaux à l'intérieur du conteneur, sans air ni espace. Je me demandais comment un enfant pouvait être mis dans ces conditions. À l'intérieur du conteneur il faisait très chaud. Le voyage dura 21 heures. De 16 h à 13 h le lendemain. On n’avait rien à manger. Les gens étaient obligés d’uriner l’un devant les autres. Lorsque les chauffeurs s’arrêtaient pour manger ou pour prier, nous mettions l'enfant au près de la petite fenêtre du conteneur. Il s’appelait Adam. Enfin nous arrivâmes à Kufrah. Quand je sortis je volai du pain qui était accroché à l'extérieur du conteneur. Nous n'avions rien mangé depuis la veille. Nous étions 110 personnes. Y compris Adam âgé de quatre ans et sa maman »1.

Menghistu n'est pas le seul à avoir été efermé dans un conteneur et puis déportés. En Libye c’est tout à fait normal. Les conteneurs sont utilisés pour transporter d’une prison à l’autre les migrants arrêtés sur le chemin de l'Europe. Il y a trois types de conteneurs. Le plus petit est une voiture pick-up. Le moyen est l'équivalent d'un minivan. Et le plus grand est un véritable conteneur, couleur bleue, avec trois petites fenêtres par côtés, tiré par un camion articulé. La première fois que j'ai entendu parler des conteneurs, il était au printemps 2006, au cours d'une entretien avec un réfugiés érythréen en Italie. À l'époque, je ne voulais pas le croire. L’image de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants enfermés dans une boîte en fer afin d'être concentrés dans un camp de détention, sans avoir commis aucun crime, et puis déportés, me rappelait les fantômes de la Deuxième Guerre mondiale. Il me semblait trop pour être vrai. Mais l'image des conteneurs revenait, comme une preuve d'authenticité, dans tous les récits des réfugiés passés par la Libye, que je rencontrais. Jusqu'à ce que j'ai pu voir ces conteneurs de mes propres yeux.

Sebha est la capitale historique de la région du Fezzan. Nous sommes aux portes du grand désert de la Libye. Jusqu'au siècle dernier, cette ville était un important point de transit pour les caravanes qui traversaient le Sahara. Aujourd'hui, le passage des caravanes a été remplacé par celui des migrants. Le colonel Zarruq est le directeur du nouveau centre de détention des migrants de la ville. Il a été inauguré le mois d’août 2008. Les trois bâtiments derrière le mur peuvent détenir jusqu'à 1.000 personnes. Dans le parking sale, je vois le camion avec le conteneur. Le directeur me montre le tracteur. Un Iveco Trakker 420, six roues. Le compteur kilométrique indique 41.377 km. Il est presque nouveau. Zarruq me dit que le camion est arrivé la nuit précédente depuis Qatrun, à quatre heures de désert d'ici. A bord il y avait 100 prisonniers, arrêté à la frontière avec le Niger. Nous entrons à l'intérieur du conteneur, par les escaliers d’arrière. L'atmosphère est claustrophobe, même s’il est vide. Il est difficile d'imaginer ce qu’il pourrait être avec 100 ou 200 personnes entassées dans cette boîte de fer. La lumière du soleil filtrée par la poussière, éclaire les bidons vides en plastique, sur le sol, sous les bancs de fer. Sur l'un d'entre eux il y a écrit Gambie.

L'eau est le bagage indispensable pour les migrants qui traversent le désert. Avant de partir, tout le monde prend un ou deux bidons avec lui. La jute peut aider à protéger l'eau de la chaleur du soleil. L'important c’est d'y écrire son nom, pour le reconnaître. La traversée du Sahara est très dangereuse. Le camion peut avoir un problème au moteur, le chauffeur peut se perdre, ou tout simplement abandonner tous les passagers et s’en aller avec leur argent. Et puis il y a la menace des bandes armées qui souvent attaquent et volent les voitures des migrants au Niger et en Algérie. Dans des centaines de kilomètres, il n'y a rien d'autre que la sable. Des dizaines de personnes meurent chaque mois. Les nouvelles arrivent à peine. Sur la presse internationale, nous avons recueilli l’information de 1.677 migrants morts en traversant le Sahara. Mais, selon les témoignages de survivants, chaque voyage compte ses morts.

Parmi les cent dernières migrants amenés à Sebha avec le conteneur, il y a aussi une famille de Sikasso, au Mali. Père, mère et enfant. Ils ont été arrêtés trois jours auparavant, à Ghat, le long de la frontière algérienne. Je le rencontre dans le bureau du directeur. L'enfant est âgé de huit ans, il était en troisième classe, avant de partir. Son père le tient dans ses forts bras. Il parle en arabe. Il dit qu'ils n'étaient pas dirigés en Europe. Leur destination était Sebha, car ici, il avait déjà travaillé en 2002, pour une société allemande. Ils ont leur passeport avec eux, mais sans la visa d'entrée en Libye. Dans le camp de détention, ils sont enfermés dans des cellules séparées. L'enfant reste avec sa mère. Leurs noms sont sur la liste du prochain avion prêt à partir. Dans les onze premiers mois de 2008, plus de 9.000 migrants ont été expulsés de Sebha, principalement au Nigéria, Mali, Niger, Ghana, Sénégal et Burkina Faso. Seulement en Novembre, 1.120 personnes ont été rapatriées d'ici. Zarruq me montre la liste des vols: 467 Nigérians expulsés le 2 Septembre, 420 Maliens à la mi-Novembre. Les ambassades coopèrent envoyant ici leurs fonctionnaires, afin d'identifier les détenus. Kabbiun et Ajouas ont déjà rencontrés les fonctionnaires de l'ambassade du Nigéria. Kabbiun est à pieds nus. Il a perdu ses chaussures dans le désert, après son arrestation à Ghat. Ajouas au contraire a vécu six ans à Tripoli, avant d'être arrêté. Personne d'entre eux ont vu un juge ou un avocat. Leur détention n’a pas été validé par un tribunal, et il n'est pas possible ni de faire recours, ni de demander l'asile politique.

C'est le cas de Patrick. Il vient de la République démocratique du Congo, où la guerre vient d’exploser de nouveau, au Kivu. Il a été arrêté il y a un mois à Tripoli, alors qu'il cherchait un travail à la journée sur les routes près de Souq Thalatha. Nous pouvons parler librement en français, car l'interprète de la police ne comprend pas cette langue. Il sort une feuille de sa poche. Il s’agit de son certificat de demandeur d'asile. Délivré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Tripoli, le 9 Octobre 2007. Oui, Patrick a demandé l'asile et maintenant il est en attente d'être déportés. Comme les autres détenus, en fait Patrick n'a pas le droit d'appeler à l'extérieur, même pas le HCR. Si il ne va pas trouver de l'argent pour corrompre quelqu’un de la police, tôt ou tard, il sera expulsé. Et comme lui les autres. Ils sont entassés à groupe de 60-70 personnes, dans 12 chambres, de 8 mètres par 8. Les détenus dorment au sol, il n'y a pas de matelas. La lumière du soleil entre par les grandes fenêtres au dessus des hauts murs. Ils restent enfermés toute la journée. Ils ne sortent que pour les repas, dans la cantine de la prison.

Les vols d’expulsion sont opérés par des compagnies libyennes: Ifriqiya et Buraq Air. Toutes les opérations sont payés par le gouvernement libyen, dit le directeur Zarruq. Mais il est difficile de lui croire. Après tout, en Décembre 2004, la Commission européenne parlait déjà de 47 vols de rapatriement depuis la Libye, financés par l'Italie. Zarruq insiste. Selon lui, Rome n’a envoyé que deux jeeps de patrouille, à l'intérieur du projet Across Sahara. En plus, le nouveau centre de détention n'a pas été financé par l'Italie – il dit – même si Rome s’était engagés à le faire dans un premier moment. Toutefois, l’ancien bâtiment a été restauré et élargi. Et de nombreux migrants, déjà rapatriés au Niger, disent qu'ils ont été mis aux travaux forcés pour le construire. Et ils disent aussi que beaucoup de gens ont été abandonnés dans le désert, le long de la frontière, au cours des déportations. C'était l'époque de “retours volontaires”, en 2004, lorsque plus de 18.000 migrants furent chargés dans les camions et laissés au milieu du désert, avec plusieurs accidents et des dizaines de victimes. Zarruq n’en veut pas parler. Aujourd'hui, tous les rapatriements se font par avion, il dit simplement.

Le lieutenant Ghrera non plus ne veut pas rappeler ces moments-là. Ghrera est le responsable de patrouilles dans le Sahara libyen. L'Italie et l'Europe ont promis de financer un système de contrôle électronique pour le sud de la frontière libyenne, qui sera mis en place par la société italienne Finmeccanica. Il sourit. Il a travaillé dans le désert durant les 35 dernières années. Il connaît bien son domaine. Il nous amenés à Zellaf, 20 km à sud de Sebha, pour nous donner une idée de ce qui est le désert. Nous ne sommes pas encore dans le grand Sahara. Pourtant on ne voit que de la sable tout au tour. Les deux jeeps, après un tour sur les dunes à cent kilomètres à l'heure, éteignent le moteur. Ghrera et l'autre chauffeur, ‘Ali, se lavent les mains dans la sable. Ils s’agenouillent, à l'est. C’est après la prière qu’ils reviennent chez nous. Patrouiller le Sahara est impossible, dit Ghrera. La Libye a 5.000 kilomètres de frontière terrestre en plein désert. Un terrain trop grand et trop irrégulier. Les 89 passeurs – presque tous Libyens – arrêtés durant les premiers 11 mois de 2008 ne sont rien par rapport aux milliers de personnes qui traversent le Sahara chaque année. Les patrouilles sont effectuées par des groupes de 10 voitures en service pour cinq jours. Il sourit de nouveau. Il a trouvé une bouteille vide de gin, dans le sable. L'alcool est illégale en Libye. En fait, sur la bouteille il y a écrit “fabriqué au Niger”. Ghrera le jette un peu loin dans le sable. Il ne dit rien. Les passeurs ne travaillent pas seulement avec les migrants. Il y a l'alcool, les cigarettes, les drogues, les armes. Avant d’allumer de nouveau le moteur, il revient sur le point: vous pouvez doubler les patrouilles, le désert va rester une porte ouverte.

Celui de Sebha, n’est pas le seul camp de détention des migrants dans le sud de la Libye. Il y en a au moins autres cinq. Ceux de Shati, Qatrun, Ghat et Brak, dans le sud-ouest du pays, sont utilisés pour recueillir les migrants arrêtés à la frontière avec l'Algérie et le Niger, en attendant de les envoyer à Sebha. L’autres centre se trouve 800 km au sud-est de Sebha, dans la ville de Kufrah. Ils sont amenés ici les réfugiés Érythréens et Éthiopiens attrapés à la frontière avec le Soudan. Cette prison a la pire réputation, pas seulement parmi les migrants, mais même chez les Libyens.

Mohamed Tarnish est le président de l'Organisation des droits de l'homme, une ONG libyenne financé par la Fondation de Saif al Islam Kadhafi, l’aîné du Colonel. Nous nous rencontrons au café Sarayah, près de la Place Verte, à Tripoli. Depuis plusieurs années, son organisation a lutté pour l'amélioration des conditions des prisons libyennes et a obtenu la libération de plus de 1.000 prisonniers politiques libyens. À partir de 2006, cette ONG a eu accès à sept camps de détention pour les immigrés. Tarnish ne peux pas parler librement, car avec nous il y a un fonctionnaire du bureau des médias étrangers du Gouvernement libyen. Mais il nous fait comprendre que le centre de Kufrah est le pire. Il nous parle d’une structure délabrée, très surpeuplées, avec de la mauvaise nourriture et sans aucun assistance sanitaire.

Pour comprendre ce que Tarnish essayent de nous dire, je relis les entrevues faites aux réfugiés Érythréens et Éthiopiens en 2007. « Nous étions 78 personnes dans une cellule de 6 mètres par 8 » – « Nous dormions par terre, la tête à coté des pieds des voisins » – « On avait tellement faim. Une plat de riz pouvait être partagé par huit personnes » – « Dans la nuit, la police m'amenait dans la cour. Ils me demandaient de faire des exercices de gymnastique. Et quand j’étais fatigué ils me donnaient des coups de pied et maudissaient moi et ma religion chrétienne » – « Il y avait une toilette pour 60 personnes, dans la cellule il y avait toujours une mauvaise odeur. C’était impossible de nous laver » – « Il y avait des poux et des puces partout dans le matelas, dans les vêtements, dans les cheveux » – « Parfois, la police entrait dans la chambre, ils prenaient une femme et la violaient devant nous ». C’est le portrait de l'enfer. Un enfer qui est devenu aussi un lieu de business. Oui, car depuis quelques années, la police vent les détenus aux passeurs qui les amèneront à la Méditerranée. Le prix d’un homme vaut environ 30 dinars libyens, c’est à dire 18 euros.

Je n'ai pas été autorisé de visiter le camp de Kufrah et donc je n'ai pas pu vérifier personnellement ses conditions. Toutefois, le fait que tous les réfugiés avec lequel j'ai parlé pendant les trois dernières années m'ont décrit un lieu d'abus, de violence et de tortures, me fait penser que tout est vrai. En 2004, la Commission européenne écrivait que l'Italie avait financé la construction d'un centre de détention des immigrés à Kufrah. En 2007, le gouvernement Prodi l’a nié, en disant qu’en fait il avait été financé un centre sanitaire. Maintenant, il ne fait pas une grande différence. Le point est un autre. Depuis 2003, l'Italie et l'Union européenne coopèrent avec la Libye afin de lutter contre la migration. La question est: pourquoi tout le monde prétend de ne pas savoir ce que les migrants africains souffrent là-bas?

En 2005, l'ancien directeur des services secrets italiens (SISDE), le préfet Mario Mori, informa le Parlement italien: “Les migrants sans papiers en Libye sont attrapés comme des chiens” et amenés dans des centre tellement surpeuplées que “les policiers doivent porter un masque sur la bouche pour les odeurs nauséabondes”. Mais au ministère de l'Intérieur ils connaissaient déjà tout. En fait, depuis 2004, la police italienne s’occupe de la formation de leurs collègues libyens dans la lutte contre l'immigration. Et certains hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, ont visités à plusieurs reprises les centres de détention en Libye, y compris celui de Kufrah. Mais le silence a été imposé sur la réalité des choses. La même hypocrisie a été manifestée par l'Union européenne. Dans un rapport de 2004, la Commission européenne définissait les conditions des camps de détention en Libye “difficiles” mais à la fin “acceptables à la lumière du contexte général». Trois ans plus tard, en Mai 2007, une délégation de l'Agence FRONTEX visitait le sud de la Libye, y compris la prison de Kufrah, afin de jeter les bases d'une future coopération. Essayez de deviner ce qu'ils écrirent: «Nous avons apprécié à la fois la diversité comme l'immensité du désert”. Pas un seul mot sur les conditions des prisonniers. Un oubli?

[1] Testimonianza raccolta da Scuola di italiano Asinitas, Roma, 2007

SEBHA – «Avec nous, dans le camion, il y avait une enfant âgé de quatre ans, avec sa mère. Nous étions entassés comme des animaux à l'intérieur du conteneur, sans air ni espace. Je me demandais comment un enfant pouvait être mis dans ces conditions. À l'intérieur du conteneur il faisait très chaud. Le voyage dura 21 heures. De 16 h à 13 h le lendemain. On n’avait rien à manger. Les gens étaient obligés d’uriner l’un devant les autres. Lorsque les chauffeurs s’arrêtaient pour manger ou pour prier, nous mettions l'enfant au près de la petite fenêtre du conteneur. Il s’appelait Adam. Enfin nous arrivâmes à Kufrah. Quand je sortis je volai du pain qui était accroché à l'extérieur du conteneur. Nous n'avions rien mangé depuis la veille. Nous étions 110 personnes. Y compris Adam âgé de quatre ans et sa maman »1.

Menghistu n'est pas le seul à avoir été efermé dans un conteneur et puis déportés. En Libye c’est tout à fait normal. Les conteneurs sont utilisés pour transporter d’une prison à l’autre les migrants arrêtés sur le chemin de l'Europe. Il y a trois types de conteneurs. Le plus petit est une voiture pick-up. Le moyen est l'équivalent d'un minivan. Et le plus grand est un véritable conteneur, couleur bleue, avec trois petites fenêtres par côtés, tiré par un camion articulé. La première fois que j'ai entendu parler des conteneurs, il était au printemps 2006, au cours d'une entretien avec un réfugiés érythréen en Italie. À l'époque, je ne voulais pas le croire. L’image de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants enfermés dans une boîte en fer afin d'être concentrés dans un camp de détention, sans avoir commis aucun crime, et puis déportés, me rappelait les fantômes de la Deuxième Guerre mondiale. Il me semblait trop pour être vrai. Mais l'image des conteneurs revenait, comme une preuve d'authenticité, dans tous les récits des réfugiés passés par la Libye, que je rencontrais. Jusqu'à ce que j'ai pu voir ces conteneurs de mes propres yeux.

Sebha est la capitale historique de la région du Fezzan. Nous sommes aux portes du grand désert de la Libye. Jusqu'au siècle dernier, cette ville était un important point de transit pour les caravanes qui traversaient le Sahara. Aujourd'hui, le passage des caravanes a été remplacé par celui des migrants. Le colonel Zarruq est le directeur du nouveau centre de détention des migrants de la ville. Il a été inauguré le mois d’août 2008. Les trois bâtiments derrière le mur peuvent détenir jusqu'à 1.000 personnes. Dans le parking sale, je vois le camion avec le conteneur. Le directeur me montre le tracteur. Un Iveco Trakker 420, six roues. Le compteur kilométrique indique 41.377 km. Il est presque nouveau. Zarruq me dit que le camion est arrivé la nuit précédente depuis Qatrun, à quatre heures de désert d'ici. A bord il y avait 100 prisonniers, arrêté à la frontière avec le Niger. Nous entrons à l'intérieur du conteneur, par les escaliers d’arrière. L'atmosphère est claustrophobe, même s’il est vide. Il est difficile d'imaginer ce qu’il pourrait être avec 100 ou 200 personnes entassées dans cette boîte de fer. La lumière du soleil filtrée par la poussière, éclaire les bidons vides en plastique, sur le sol, sous les bancs de fer. Sur l'un d'entre eux il y a écrit Gambie.

L'eau est le bagage indispensable pour les migrants qui traversent le désert. Avant de partir, tout le monde prend un ou deux bidons avec lui. La jute peut aider à protéger l'eau de la chaleur du soleil. L'important c’est d'y écrire son nom, pour le reconnaître. La traversée du Sahara est très dangereuse. Le camion peut avoir un problème au moteur, le chauffeur peut se perdre, ou tout simplement abandonner tous les passagers et s’en aller avec leur argent. Et puis il y a la menace des bandes armées qui souvent attaquent et volent les voitures des migrants au Niger et en Algérie. Dans des centaines de kilomètres, il n'y a rien d'autre que la sable. Des dizaines de personnes meurent chaque mois. Les nouvelles arrivent à peine. Sur la presse internationale, nous avons recueilli l’information de 1.677 migrants morts en traversant le Sahara. Mais, selon les témoignages de survivants, chaque voyage compte ses morts.

Parmi les cent dernières migrants amenés à Sebha avec le conteneur, il y a aussi une famille de Sikasso, au Mali. Père, mère et enfant. Ils ont été arrêtés trois jours auparavant, à Ghat, le long de la frontière algérienne. Je le rencontre dans le bureau du directeur. L'enfant est âgé de huit ans, il était en troisième classe, avant de partir. Son père le tient dans ses forts bras. Il parle en arabe. Il dit qu'ils n'étaient pas dirigés en Europe. Leur destination était Sebha, car ici, il avait déjà travaillé en 2002, pour une société allemande. Ils ont leur passeport avec eux, mais sans la visa d'entrée en Libye. Dans le camp de détention, ils sont enfermés dans des cellules séparées. L'enfant reste avec sa mère. Leurs noms sont sur la liste du prochain avion prêt à partir. Dans les onze premiers mois de 2008, plus de 9.000 migrants ont été expulsés de Sebha, principalement au Nigéria, Mali, Niger, Ghana, Sénégal et Burkina Faso. Seulement en Novembre, 1.120 personnes ont été rapatriées d'ici. Zarruq me montre la liste des vols: 467 Nigérians expulsés le 2 Septembre, 420 Maliens à la mi-Novembre. Les ambassades coopèrent envoyant ici leurs fonctionnaires, afin d'identifier les détenus. Kabbiun et Ajouas ont déjà rencontrés les fonctionnaires de l'ambassade du Nigéria. Kabbiun est à pieds nus. Il a perdu ses chaussures dans le désert, après son arrestation à Ghat. Ajouas au contraire a vécu six ans à Tripoli, avant d'être arrêté. Personne d'entre eux ont vu un juge ou un avocat. Leur détention n’a pas été validé par un tribunal, et il n'est pas possible ni de faire recours, ni de demander l'asile politique.

C'est le cas de Patrick. Il vient de la République démocratique du Congo, où la guerre vient d’exploser de nouveau, au Kivu. Il a été arrêté il y a un mois à Tripoli, alors qu'il cherchait un travail à la journée sur les routes près de Souq Thalatha. Nous pouvons parler librement en français, car l'interprète de la police ne comprend pas cette langue. Il sort une feuille de sa poche. Il s’agit de son certificat de demandeur d'asile. Délivré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Tripoli, le 9 Octobre 2007. Oui, Patrick a demandé l'asile et maintenant il est en attente d'être déportés. Comme les autres détenus, en fait Patrick n'a pas le droit d'appeler à l'extérieur, même pas le HCR. Si il ne va pas trouver de l'argent pour corrompre quelqu’un de la police, tôt ou tard, il sera expulsé. Et comme lui les autres. Ils sont entassés à groupe de 60-70 personnes, dans 12 chambres, de 8 mètres par 8. Les détenus dorment au sol, il n'y a pas de matelas. La lumière du soleil entre par les grandes fenêtres au dessus des hauts murs. Ils restent enfermés toute la journée. Ils ne sortent que pour les repas, dans la cantine de la prison.

Les vols d’expulsion sont opérés par des compagnies libyennes: Ifriqiya et Buraq Air. Toutes les opérations sont payés par le gouvernement libyen, dit le directeur Zarruq. Mais il est difficile de lui croire. Après tout, en Décembre 2004, la Commission européenne parlait déjà de 47 vols de rapatriement depuis la Libye, financés par l'Italie. Zarruq insiste. Selon lui, Rome n’a envoyé que deux jeeps de patrouille, à l'intérieur du projet Across Sahara. En plus, le nouveau centre de détention n'a pas été financé par l'Italie – il dit – même si Rome s’était engagés à le faire dans un premier moment. Toutefois, l’ancien bâtiment a été restauré et élargi. Et de nombreux migrants, déjà rapatriés au Niger, disent qu'ils ont été mis aux travaux forcés pour le construire. Et ils disent aussi que beaucoup de gens ont été abandonnés dans le désert, le long de la frontière, au cours des déportations. C'était l'époque de “retours volontaires”, en 2004, lorsque plus de 18.000 migrants furent chargés dans les camions et laissés au milieu du désert, avec plusieurs accidents et des dizaines de victimes. Zarruq n’en veut pas parler. Aujourd'hui, tous les rapatriements se font par avion, il dit simplement.

Le lieutenant Ghrera non plus ne veut pas rappeler ces moments-là. Ghrera est le responsable de patrouilles dans le Sahara libyen. L'Italie et l'Europe ont promis de financer un système de contrôle électronique pour le sud de la frontière libyenne, qui sera mis en place par la société italienne Finmeccanica. Il sourit. Il a travaillé dans le désert durant les 35 dernières années. Il connaît bien son domaine. Il nous amenés à Zellaf, 20 km à sud de Sebha, pour nous donner une idée de ce qui est le désert. Nous ne sommes pas encore dans le grand Sahara. Pourtant on ne voit que de la sable tout au tour. Les deux jeeps, après un tour sur les dunes à cent kilomètres à l'heure, éteignent le moteur. Ghrera et l'autre chauffeur, ‘Ali, se lavent les mains dans la sable. Ils s’agenouillent, à l'est. C’est après la prière qu’ils reviennent chez nous. Patrouiller le Sahara est impossible, dit Ghrera. La Libye a 5.000 kilomètres de frontière terrestre en plein désert. Un terrain trop grand et trop irrégulier. Les 89 passeurs – presque tous Libyens – arrêtés durant les premiers 11 mois de 2008 ne sont rien par rapport aux milliers de personnes qui traversent le Sahara chaque année. Les patrouilles sont effectuées par des groupes de 10 voitures en service pour cinq jours. Il sourit de nouveau. Il a trouvé une bouteille vide de gin, dans le sable. L'alcool est illégale en Libye. En fait, sur la bouteille il y a écrit “fabriqué au Niger”. Ghrera le jette un peu loin dans le sable. Il ne dit rien. Les passeurs ne travaillent pas seulement avec les migrants. Il y a l'alcool, les cigarettes, les drogues, les armes. Avant d’allumer de nouveau le moteur, il revient sur le point: vous pouvez doubler les patrouilles, le désert va rester une porte ouverte.

Celui de Sebha, n’est pas le seul camp de détention des migrants dans le sud de la Libye. Il y en a au moins autres cinq. Ceux de Shati, Qatrun, Ghat et Brak, dans le sud-ouest du pays, sont utilisés pour recueillir les migrants arrêtés à la frontière avec l'Algérie et le Niger, en attendant de les envoyer à Sebha. L’autres centre se trouve 800 km au sud-est de Sebha, dans la ville de Kufrah. Ils sont amenés ici les réfugiés Érythréens et Éthiopiens attrapés à la frontière avec le Soudan. Cette prison a la pire réputation, pas seulement parmi les migrants, mais même chez les Libyens.

Mohamed Tarnish est le président de l'Organisation des droits de l'homme, une ONG libyenne financé par la Fondation de Saif al Islam Kadhafi, l’aîné du Colonel. Nous nous rencontrons au café Sarayah, près de la Place Verte, à Tripoli. Depuis plusieurs années, son organisation a lutté pour l'amélioration des conditions des prisons libyennes et a obtenu la libération de plus de 1.000 prisonniers politiques libyens. À partir de 2006, cette ONG a eu accès à sept camps de détention pour les immigrés. Tarnish ne peux pas parler librement, car avec nous il y a un fonctionnaire du bureau des médias étrangers du Gouvernement libyen. Mais il nous fait comprendre que le centre de Kufrah est le pire. Il nous parle d’une structure délabrée, très surpeuplées, avec de la mauvaise nourriture et sans aucun assistance sanitaire.

Pour comprendre ce que Tarnish essayent de nous dire, je relis les entrevues faites aux réfugiés Érythréens et Éthiopiens en 2007. « Nous étions 78 personnes dans une cellule de 6 mètres par 8 » – « Nous dormions par terre, la tête à coté des pieds des voisins » – « On avait tellement faim. Une plat de riz pouvait être partagé par huit personnes » – « Dans la nuit, la police m'amenait dans la cour. Ils me demandaient de faire des exercices de gymnastique. Et quand j’étais fatigué ils me donnaient des coups de pied et maudissaient moi et ma religion chrétienne » – « Il y avait une toilette pour 60 personnes, dans la cellule il y avait toujours une mauvaise odeur. C’était impossible de nous laver » – « Il y avait des poux et des puces partout dans le matelas, dans les vêtements, dans les cheveux » – « Parfois, la police entrait dans la chambre, ils prenaient une femme et la violaient devant nous ». C’est le portrait de l'enfer. Un enfer qui est devenu aussi un lieu de business. Oui, car depuis quelques années, la police vent les détenus aux passeurs qui les amèneront à la Méditerranée. Le prix d’un homme vaut environ 30 dinars libyens, c’est à dire 18 euros.

Je n'ai pas été autorisé de visiter le camp de Kufrah et donc je n'ai pas pu vérifier personnellement ses conditions. Toutefois, le fait que tous les réfugiés avec lequel j'ai parlé pendant les trois dernières années m'ont décrit un lieu d'abus, de violence et de tortures, me fait penser que tout est vrai. En 2004, la Commission européenne écrivait que l'Italie avait financé la construction d'un centre de détention des immigrés à Kufrah. En 2007, le gouvernement Prodi l’a nié, en disant qu’en fait il avait été financé un centre sanitaire. Maintenant, il ne fait pas une grande différence. Le point est un autre. Depuis 2003, l'Italie et l'Union européenne coopèrent avec la Libye afin de lutter contre la migration. La question est: pourquoi tout le monde prétend de ne pas savoir ce que les migrants africains souffrent là-bas?

En 2005, l'ancien directeur des services secrets italiens (SISDE), le préfet Mario Mori, informa le Parlement italien: “Les migrants sans papiers en Libye sont attrapés comme des chiens” et amenés dans des centre tellement surpeuplées que “les policiers doivent porter un masque sur la bouche pour les odeurs nauséabondes”. Mais au ministère de l'Intérieur ils connaissaient déjà tout. En fait, depuis 2004, la police italienne s’occupe de la formation de leurs collègues libyens dans la lutte contre l'immigration. Et certains hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, ont visités à plusieurs reprises les centres de détention en Libye, y compris celui de Kufrah. Mais le silence a été imposé sur la réalité des choses. La même hypocrisie a été manifestée par l'Union européenne. Dans un rapport de 2004, la Commission européenne définissait les conditions des camps de détention en Libye “difficiles” mais à la fin “acceptables à la lumière du contexte général». Trois ans plus tard, en Mai 2007, une délégation de l'Agence FRONTEX visitait le sud de la Libye, y compris la prison de Kufrah, afin de jeter les bases d'une future coopération. Essayez de deviner ce qu'ils écrirent: «Nous avons apprécié à la fois la diversité comme l'immensité du désert”. Pas un seul mot sur les conditions des prisonniers. Un oubli?

[1] Testimonianza raccolta da Scuola di italiano Asinitas, Roma, 2007

SEBHA – «Avec nous, dans le camion, il y avait une enfant âgé de quatre ans, avec sa mère. Nous étions entassés comme des animaux à l'intérieur du conteneur, sans air ni espace. Je me demandais comment un enfant pouvait être mis dans ces conditions. À l'intérieur du conteneur il faisait très chaud. Le voyage dura 21 heures. De 16 h à 13 h le lendemain. On n’avait rien à manger. Les gens étaient obligés d’uriner l’un devant les autres. Lorsque les chauffeurs s’arrêtaient pour manger ou pour prier, nous mettions l'enfant au près de la petite fenêtre du conteneur. Il s’appelait Adam. Enfin nous arrivâmes à Kufrah. Quand je sortis je volai du pain qui était accroché à l'extérieur du conteneur. Nous n'avions rien mangé depuis la veille. Nous étions 110 personnes. Y compris Adam âgé de quatre ans et sa maman »1.

Menghistu n'est pas le seul à avoir été efermé dans un conteneur et puis déportés. En Libye c’est tout à fait normal. Les conteneurs sont utilisés pour transporter d’une prison à l’autre les migrants arrêtés sur le chemin de l'Europe. Il y a trois types de conteneurs. Le plus petit est une voiture pick-up. Le moyen est l'équivalent d'un minivan. Et le plus grand est un véritable conteneur, couleur bleue, avec trois petites fenêtres par côtés, tiré par un camion articulé. La première fois que j'ai entendu parler des conteneurs, il était au printemps 2006, au cours d'une entretien avec un réfugiés érythréen en Italie. À l'époque, je ne voulais pas le croire. L’image de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants enfermés dans une boîte en fer afin d'être concentrés dans un camp de détention, sans avoir commis aucun crime, et puis déportés, me rappelait les fantômes de la Deuxième Guerre mondiale. Il me semblait trop pour être vrai. Mais l'image des conteneurs revenait, comme une preuve d'authenticité, dans tous les récits des réfugiés passés par la Libye, que je rencontrais. Jusqu'à ce que j'ai pu voir ces conteneurs de mes propres yeux.

Sebha est la capitale historique de la région du Fezzan. Nous sommes aux portes du grand désert de la Libye. Jusqu'au siècle dernier, cette ville était un important point de transit pour les caravanes qui traversaient le Sahara. Aujourd'hui, le passage des caravanes a été remplacé par celui des migrants. Le colonel Zarruq est le directeur du nouveau centre de détention des migrants de la ville. Il a été inauguré le mois d’août 2008. Les trois bâtiments derrière le mur peuvent détenir jusqu'à 1.000 personnes. Dans le parking sale, je vois le camion avec le conteneur. Le directeur me montre le tracteur. Un Iveco Trakker 420, six roues. Le compteur kilométrique indique 41.377 km. Il est presque nouveau. Zarruq me dit que le camion est arrivé la nuit précédente depuis Qatrun, à quatre heures de désert d'ici. A bord il y avait 100 prisonniers, arrêté à la frontière avec le Niger. Nous entrons à l'intérieur du conteneur, par les escaliers d’arrière. L'atmosphère est claustrophobe, même s’il est vide. Il est difficile d'imaginer ce qu’il pourrait être avec 100 ou 200 personnes entassées dans cette boîte de fer. La lumière du soleil filtrée par la poussière, éclaire les bidons vides en plastique, sur le sol, sous les bancs de fer. Sur l'un d'entre eux il y a écrit Gambie.

L'eau est le bagage indispensable pour les migrants qui traversent le désert. Avant de partir, tout le monde prend un ou deux bidons avec lui. La jute peut aider à protéger l'eau de la chaleur du soleil. L'important c’est d'y écrire son nom, pour le reconnaître. La traversée du Sahara est très dangereuse. Le camion peut avoir un problème au moteur, le chauffeur peut se perdre, ou tout simplement abandonner tous les passagers et s’en aller avec leur argent. Et puis il y a la menace des bandes armées qui souvent attaquent et volent les voitures des migrants au Niger et en Algérie. Dans des centaines de kilomètres, il n'y a rien d'autre que la sable. Des dizaines de personnes meurent chaque mois. Les nouvelles arrivent à peine. Sur la presse internationale, nous avons recueilli l’information de 1.677 migrants morts en traversant le Sahara. Mais, selon les témoignages de survivants, chaque voyage compte ses morts.

Parmi les cent dernières migrants amenés à Sebha avec le conteneur, il y a aussi une famille de Sikasso, au Mali. Père, mère et enfant. Ils ont été arrêtés trois jours auparavant, à Ghat, le long de la frontière algérienne. Je le rencontre dans le bureau du directeur. L'enfant est âgé de huit ans, il était en troisième classe, avant de partir. Son père le tient dans ses forts bras. Il parle en arabe. Il dit qu'ils n'étaient pas dirigés en Europe. Leur destination était Sebha, car ici, il avait déjà travaillé en 2002, pour une société allemande. Ils ont leur passeport avec eux, mais sans la visa d'entrée en Libye. Dans le camp de détention, ils sont enfermés dans des cellules séparées. L'enfant reste avec sa mère. Leurs noms sont sur la liste du prochain avion prêt à partir. Dans les onze premiers mois de 2008, plus de 9.000 migrants ont été expulsés de Sebha, principalement au Nigéria, Mali, Niger, Ghana, Sénégal et Burkina Faso. Seulement en Novembre, 1.120 personnes ont été rapatriées d'ici. Zarruq me montre la liste des vols: 467 Nigérians expulsés le 2 Septembre, 420 Maliens à la mi-Novembre. Les ambassades coopèrent envoyant ici leurs fonctionnaires, afin d'identifier les détenus. Kabbiun et Ajouas ont déjà rencontrés les fonctionnaires de l'ambassade du Nigéria. Kabbiun est à pieds nus. Il a perdu ses chaussures dans le désert, après son arrestation à Ghat. Ajouas au contraire a vécu six ans à Tripoli, avant d'être arrêté. Personne d'entre eux ont vu un juge ou un avocat. Leur détention n’a pas été validé par un tribunal, et il n'est pas possible ni de faire recours, ni de demander l'asile politique.

C'est le cas de Patrick. Il vient de la République démocratique du Congo, où la guerre vient d’exploser de nouveau, au Kivu. Il a été arrêté il y a un mois à Tripoli, alors qu'il cherchait un travail à la journée sur les routes près de Souq Thalatha. Nous pouvons parler librement en français, car l'interprète de la police ne comprend pas cette langue. Il sort une feuille de sa poche. Il s’agit de son certificat de demandeur d'asile. Délivré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Tripoli, le 9 Octobre 2007. Oui, Patrick a demandé l'asile et maintenant il est en attente d'être déportés. Comme les autres détenus, en fait Patrick n'a pas le droit d'appeler à l'extérieur, même pas le HCR. Si il ne va pas trouver de l'argent pour corrompre quelqu’un de la police, tôt ou tard, il sera expulsé. Et comme lui les autres. Ils sont entassés à groupe de 60-70 personnes, dans 12 chambres, de 8 mètres par 8. Les détenus dorment au sol, il n'y a pas de matelas. La lumière du soleil entre par les grandes fenêtres au dessus des hauts murs. Ils restent enfermés toute la journée. Ils ne sortent que pour les repas, dans la cantine de la prison.

Les vols d’expulsion sont opérés par des compagnies libyennes: Ifriqiya et Buraq Air. Toutes les opérations sont payés par le gouvernement libyen, dit le directeur Zarruq. Mais il est difficile de lui croire. Après tout, en Décembre 2004, la Commission européenne parlait déjà de 47 vols de rapatriement depuis la Libye, financés par l'Italie. Zarruq insiste. Selon lui, Rome n’a envoyé que deux jeeps de patrouille, à l'intérieur du projet Across Sahara. En plus, le nouveau centre de détention n'a pas été financé par l'Italie – il dit – même si Rome s’était engagés à le faire dans un premier moment. Toutefois, l’ancien bâtiment a été restauré et élargi. Et de nombreux migrants, déjà rapatriés au Niger, disent qu'ils ont été mis aux travaux forcés pour le construire. Et ils disent aussi que beaucoup de gens ont été abandonnés dans le désert, le long de la frontière, au cours des déportations. C'était l'époque de “retours volontaires”, en 2004, lorsque plus de 18.000 migrants furent chargés dans les camions et laissés au milieu du désert, avec plusieurs accidents et des dizaines de victimes. Zarruq n’en veut pas parler. Aujourd'hui, tous les rapatriements se font par avion, il dit simplement.

Le lieutenant Ghrera non plus ne veut pas rappeler ces moments-là. Ghrera est le responsable de patrouilles dans le Sahara libyen. L'Italie et l'Europe ont promis de financer un système de contrôle électronique pour le sud de la frontière libyenne, qui sera mis en place par la société italienne Finmeccanica. Il sourit. Il a travaillé dans le désert durant les 35 dernières années. Il connaît bien son domaine. Il nous amenés à Zellaf, 20 km à sud de Sebha, pour nous donner une idée de ce qui est le désert. Nous ne sommes pas encore dans le grand Sahara. Pourtant on ne voit que de la sable tout au tour. Les deux jeeps, après un tour sur les dunes à cent kilomètres à l'heure, éteignent le moteur. Ghrera et l'autre chauffeur, ‘Ali, se lavent les mains dans la sable. Ils s’agenouillent, à l'est. C’est après la prière qu’ils reviennent chez nous. Patrouiller le Sahara est impossible, dit Ghrera. La Libye a 5.000 kilomètres de frontière terrestre en plein désert. Un terrain trop grand et trop irrégulier. Les 89 passeurs – presque tous Libyens – arrêtés durant les premiers 11 mois de 2008 ne sont rien par rapport aux milliers de personnes qui traversent le Sahara chaque année. Les patrouilles sont effectuées par des groupes de 10 voitures en service pour cinq jours. Il sourit de nouveau. Il a trouvé une bouteille vide de gin, dans le sable. L'alcool est illégale en Libye. En fait, sur la bouteille il y a écrit “fabriqué au Niger”. Ghrera le jette un peu loin dans le sable. Il ne dit rien. Les passeurs ne travaillent pas seulement avec les migrants. Il y a l'alcool, les cigarettes, les drogues, les armes. Avant d’allumer de nouveau le moteur, il revient sur le point: vous pouvez doubler les patrouilles, le désert va rester une porte ouverte.

Celui de Sebha, n’est pas le seul camp de détention des migrants dans le sud de la Libye. Il y en a au moins autres cinq. Ceux de Shati, Qatrun, Ghat et Brak, dans le sud-ouest du pays, sont utilisés pour recueillir les migrants arrêtés à la frontière avec l'Algérie et le Niger, en attendant de les envoyer à Sebha. L’autres centre se trouve 800 km au sud-est de Sebha, dans la ville de Kufrah. Ils sont amenés ici les réfugiés Érythréens et Éthiopiens attrapés à la frontière avec le Soudan. Cette prison a la pire réputation, pas seulement parmi les migrants, mais même chez les Libyens.

Mohamed Tarnish est le président de l'Organisation des droits de l'homme, une ONG libyenne financé par la Fondation de Saif al Islam Kadhafi, l’aîné du Colonel. Nous nous rencontrons au café Sarayah, près de la Place Verte, à Tripoli. Depuis plusieurs années, son organisation a lutté pour l'amélioration des conditions des prisons libyennes et a obtenu la libération de plus de 1.000 prisonniers politiques libyens. À partir de 2006, cette ONG a eu accès à sept camps de détention pour les immigrés. Tarnish ne peux pas parler librement, car avec nous il y a un fonctionnaire du bureau des médias étrangers du Gouvernement libyen. Mais il nous fait comprendre que le centre de Kufrah est le pire. Il nous parle d’une structure délabrée, très surpeuplées, avec de la mauvaise nourriture et sans aucun assistance sanitaire.

Pour comprendre ce que Tarnish essayent de nous dire, je relis les entrevues faites aux réfugiés Érythréens et Éthiopiens en 2007. « Nous étions 78 personnes dans une cellule de 6 mètres par 8 » – « Nous dormions par terre, la tête à coté des pieds des voisins » – « On avait tellement faim. Une plat de riz pouvait être partagé par huit personnes » – « Dans la nuit, la police m'amenait dans la cour. Ils me demandaient de faire des exercices de gymnastique. Et quand j’étais fatigué ils me donnaient des coups de pied et maudissaient moi et ma religion chrétienne » – « Il y avait une toilette pour 60 personnes, dans la cellule il y avait toujours une mauvaise odeur. C’était impossible de nous laver » – « Il y avait des poux et des puces partout dans le matelas, dans les vêtements, dans les cheveux » – « Parfois, la police entrait dans la chambre, ils prenaient une femme et la violaient devant nous ». C’est le portrait de l'enfer. Un enfer qui est devenu aussi un lieu de business. Oui, car depuis quelques années, la police vent les détenus aux passeurs qui les amèneront à la Méditerranée. Le prix d’un homme vaut environ 30 dinars libyens, c’est à dire 18 euros.

Je n'ai pas été autorisé de visiter le camp de Kufrah et donc je n'ai pas pu vérifier personnellement ses conditions. Toutefois, le fait que tous les réfugiés avec lequel j'ai parlé pendant les trois dernières années m'ont décrit un lieu d'abus, de violence et de tortures, me fait penser que tout est vrai. En 2004, la Commission européenne écrivait que l'Italie avait financé la construction d'un centre de détention des immigrés à Kufrah. En 2007, le gouvernement Prodi l’a nié, en disant qu’en fait il avait été financé un centre sanitaire. Maintenant, il ne fait pas une grande différence. Le point est un autre. Depuis 2003, l'Italie et l'Union européenne coopèrent avec la Libye afin de lutter contre la migration. La question est: pourquoi tout le monde prétend de ne pas savoir ce que les migrants africains souffrent là-bas?

En 2005, l'ancien directeur des services secrets italiens (SISDE), le préfet Mario Mori, informa le Parlement italien: “Les migrants sans papiers en Libye sont attrapés comme des chiens” et amenés dans des centre tellement surpeuplées que “les policiers doivent porter un masque sur la bouche pour les odeurs nauséabondes”. Mais au ministère de l'Intérieur ils connaissaient déjà tout. En fait, depuis 2004, la police italienne s’occupe de la formation de leurs collègues libyens dans la lutte contre l'immigration. Et certains hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, ont visités à plusieurs reprises les centres de détention en Libye, y compris celui de Kufrah. Mais le silence a été imposé sur la réalité des choses. La même hypocrisie a été manifestée par l'Union européenne. Dans un rapport de 2004, la Commission européenne définissait les conditions des camps de détention en Libye “difficiles” mais à la fin “acceptables à la lumière du contexte général». Trois ans plus tard, en Mai 2007, une délégation de l'Agence FRONTEX visitait le sud de la Libye, y compris la prison de Kufrah, afin de jeter les bases d'une future coopération. Essayez de deviner ce qu'ils écrirent: «Nous avons apprécié à la fois la diversité comme l'immensité du désert”. Pas un seul mot sur les conditions des prisonniers. Un oubli?

[1] Testimonianza raccolta da Scuola di italiano Asinitas, Roma, 2007

SEBHA – «Avec nous, dans le camion, il y avait une enfant âgé de quatre ans, avec sa mère. Nous étions entassés comme des animaux à l'intérieur du conteneur, sans air ni espace. Je me demandais comment un enfant pouvait être mis dans ces conditions. À l'intérieur du conteneur il faisait très chaud. Le voyage dura 21 heures. De 16 h à 13 h le lendemain. On n’avait rien à manger. Les gens étaient obligés d’uriner l’un devant les autres. Lorsque les chauffeurs s’arrêtaient pour manger ou pour prier, nous mettions l'enfant au près de la petite fenêtre du conteneur. Il s’appelait Adam. Enfin nous arrivâmes à Kufrah. Quand je sortis je volai du pain qui était accroché à l'extérieur du conteneur. Nous n'avions rien mangé depuis la veille. Nous étions 110 personnes. Y compris Adam âgé de quatre ans et sa maman »1.

Menghistu n'est pas le seul à avoir été efermé dans un conteneur et puis déportés. En Libye c’est tout à fait normal. Les conteneurs sont utilisés pour transporter d’une prison à l’autre les migrants arrêtés sur le chemin de l'Europe. Il y a trois types de conteneurs. Le plus petit est une voiture pick-up. Le moyen est l'équivalent d'un minivan. Et le plus grand est un véritable conteneur, couleur bleue, avec trois petites fenêtres par côtés, tiré par un camion articulé. La première fois que j'ai entendu parler des conteneurs, il était au printemps 2006, au cours d'une entretien avec un réfugiés érythréen en Italie. À l'époque, je ne voulais pas le croire. L’image de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants enfermés dans une boîte en fer afin d'être concentrés dans un camp de détention, sans avoir commis aucun crime, et puis déportés, me rappelait les fantômes de la Deuxième Guerre mondiale. Il me semblait trop pour être vrai. Mais l'image des conteneurs revenait, comme une preuve d'authenticité, dans tous les récits des réfugiés passés par la Libye, que je rencontrais. Jusqu'à ce que j'ai pu voir ces conteneurs de mes propres yeux.

Sebha est la capitale historique de la région du Fezzan. Nous sommes aux portes du grand désert de la Libye. Jusqu'au siècle dernier, cette ville était un important point de transit pour les caravanes qui traversaient le Sahara. Aujourd'hui, le passage des caravanes a été remplacé par celui des migrants. Le colonel Zarruq est le directeur du nouveau centre de détention des migrants de la ville. Il a été inauguré le mois d’août 2008. Les trois bâtiments derrière le mur peuvent détenir jusqu'à 1.000 personnes. Dans le parking sale, je vois le camion avec le conteneur. Le directeur me montre le tracteur. Un Iveco Trakker 420, six roues. Le compteur kilométrique indique 41.377 km. Il est presque nouveau. Zarruq me dit que le camion est arrivé la nuit précédente depuis Qatrun, à quatre heures de désert d'ici. A bord il y avait 100 prisonniers, arrêté à la frontière avec le Niger. Nous entrons à l'intérieur du conteneur, par les escaliers d’arrière. L'atmosphère est claustrophobe, même s’il est vide. Il est difficile d'imaginer ce qu’il pourrait être avec 100 ou 200 personnes entassées dans cette boîte de fer. La lumière du soleil filtrée par la poussière, éclaire les bidons vides en plastique, sur le sol, sous les bancs de fer. Sur l'un d'entre eux il y a écrit Gambie.

L'eau est le bagage indispensable pour les migrants qui traversent le désert. Avant de partir, tout le monde prend un ou deux bidons avec lui. La jute peut aider à protéger l'eau de la chaleur du soleil. L'important c’est d'y écrire son nom, pour le reconnaître. La traversée du Sahara est très dangereuse. Le camion peut avoir un problème au moteur, le chauffeur peut se perdre, ou tout simplement abandonner tous les passagers et s’en aller avec leur argent. Et puis il y a la menace des bandes armées qui souvent attaquent et volent les voitures des migrants au Niger et en Algérie. Dans des centaines de kilomètres, il n'y a rien d'autre que la sable. Des dizaines de personnes meurent chaque mois. Les nouvelles arrivent à peine. Sur la presse internationale, nous avons recueilli l’information de 1.677 migrants morts en traversant le Sahara. Mais, selon les témoignages de survivants, chaque voyage compte ses morts.

Parmi les cent dernières migrants amenés à Sebha avec le conteneur, il y a aussi une famille de Sikasso, au Mali. Père, mère et enfant. Ils ont été arrêtés trois jours auparavant, à Ghat, le long de la frontière algérienne. Je le rencontre dans le bureau du directeur. L'enfant est âgé de huit ans, il était en troisième classe, avant de partir. Son père le tient dans ses forts bras. Il parle en arabe. Il dit qu'ils n'étaient pas dirigés en Europe. Leur destination était Sebha, car ici, il avait déjà travaillé en 2002, pour une société allemande. Ils ont leur passeport avec eux, mais sans la visa d'entrée en Libye. Dans le camp de détention, ils sont enfermés dans des cellules séparées. L'enfant reste avec sa mère. Leurs noms sont sur la liste du prochain avion prêt à partir. Dans les onze premiers mois de 2008, plus de 9.000 migrants ont été expulsés de Sebha, principalement au Nigéria, Mali, Niger, Ghana, Sénégal et Burkina Faso. Seulement en Novembre, 1.120 personnes ont été rapatriées d'ici. Zarruq me montre la liste des vols: 467 Nigérians expulsés le 2 Septembre, 420 Maliens à la mi-Novembre. Les ambassades coopèrent envoyant ici leurs fonctionnaires, afin d'identifier les détenus. Kabbiun et Ajouas ont déjà rencontrés les fonctionnaires de l'ambassade du Nigéria. Kabbiun est à pieds nus. Il a perdu ses chaussures dans le désert, après son arrestation à Ghat. Ajouas au contraire a vécu six ans à Tripoli, avant d'être arrêté. Personne d'entre eux ont vu un juge ou un avocat. Leur détention n’a pas été validé par un tribunal, et il n'est pas possible ni de faire recours, ni de demander l'asile politique.

C'est le cas de Patrick. Il vient de la République démocratique du Congo, où la guerre vient d’exploser de nouveau, au Kivu. Il a été arrêté il y a un mois à Tripoli, alors qu'il cherchait un travail à la journée sur les routes près de Souq Thalatha. Nous pouvons parler librement en français, car l'interprète de la police ne c